Célébrer la puissance du féminin


Marie-France Bornais
Finaliste de nombreux prix littéraires et écrivaine formidable, Audrée Wilhelmy explore la puissance du féminin à travers les images et les métaphores d’un univers de plumes et de dentelles, de beauté et de souffrance, dans son nouveau roman Peau-de-sang. Dans le monde imaginaire de Kangoq vit une plumeuse – une femme qui déplume des oies blanches pour gagner sa vie. Convergent aussi dans la plumerie du village les uns et les autres, avec leurs désirs, leurs passions et leurs fantasmes, rêvés ou vécus, inavoués ou assumés.
La plumeuse du village travaille dans un tourbillon de plumes d’oies blanches et de sang. Elle a des airs de diablesse et est libre de corps et d’âme. Inévitablement, cette sauvagerie attire les pulsions et elle soigne les uns et les autres à sa façon.
Le maire, le médecin, le notaire, le ferblantier lui paient leur moment de plaisir en fourrures ou en espèces sonnantes et trébuchantes. Et les femmes cherchent auprès d’elle les secrets de leur épanouissement. Et Sulfureur, le beau diable, passe aussi la voir...
« J’ai tellement eu de fun à écrire ce livre ! Pour vrai, ça a été une expérience vraiment ludique. C’est comme si je m’étais un peu libérée d’une pression que je me mettais. Je me suis vraiment laissée aller au jeu de l’écriture et ça m’a vraiment fait du bien de me plonger dans ce livre-là. »
Liberté
L’écriture d’Audrée est libre et son histoire est sans contraintes, métaphorique, poétique et parfois très crue.
« Cette idée d’une voix qui en portait plein d’autres, ça m’intéressait beaucoup. Ça a été un défi pour que toutes les voix puissent sembler appartenir à la même et, en même temps, se distinguer éventuellement les unes des autres. C’est une espèce de jeu technique que je me suis amusée à mettre en place pour ce projet. »

Le texte est intense. Audrée ajoute qu’il est politique, mais campé dans un univers qui est le sien, très ludique, très amoral, très libre.
« Je voulais mettre en place une femme délestée de toutes contraintes, qui permet à d’autres d’atteindre cet état-là aussi. »
L’idée d’une plumeuse qui est aussi une excellente brodeuse n’est pas banale. Elle déplume des oies... et plume aussi ses clients.
« Ça fait longtemps que cette idée me trotte dans la tête. Je trouvais intéressant de créer un personnage de plumeuse : le travail que personne ne veut faire. Je voulais explorer le rôle absolument nécessaire, mais dont personne ne veut voir ou entendre parler, excepté quand ils en ont besoin. Le travail du sexe était une façon de prolonger cette idée. »
Cette femme transmet aussi aux autres femmes de son village d’autres valeurs, comme l’importance de prendre sa place dans le couple, d’exprimer ses désirs, de comprendre le langage du corps.
« Ça a été ludique dans l’écriture, plus que dans tous mes autres livres. Ce texte est apparu très naturellement et m’a permis d’explorer le fantastique.
« J’avais envie d’aller plus loin. On peut se permettre des choses incongrues. J’ai arrêté de me restreindre et tout à coup, tout devient possible. Grâce à ces éléments-là, ça reste mon livre le plus accessible et proche du storytelling de tous ceux que j’ai faits. »
- Audrée Wilhelmy est née à Cap-Rouge en 1985.
- Son œuvre, aussi publiée en France, a gagné le prix Sade 2015. Elle a été finaliste pour de nombreuses distinctions : le Prix littéraire des collégiens, le Grand Prix du livre de Montréal, Prix des libraires du Québec, Prix du Gouverneur général du Canada, Prix France-Québec.
EXTRAIT
« En février, il neige, dedans l’air est touffu et moite; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard, fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, “ma fauve, fauvesse, mon enfauvée” : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos maintenant tous les sortilèges sont tombés : Sulfureur, le beau diable, dort sur la paillasse, son corps détendu, apaisé par mes soins »