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L'article provient de Bureau d'enquête

Une organisation présidée par un médecin montréalais d'origine indienne a intéressé les services secrets

Le Service canadien du renseignement de sécurité a rencontré deux fois l'anesthésiste de l'hôpital Santa Cabrini

Le Dr Shivendra Dwivedi,  connu dans la communauté médicale pour l'organisation de missions humanitaires en Inde, travaille depuis plusieurs années à l'hôpital Santa Cabrini.
Le Dr Shivendra Dwivedi, connu dans la communauté médicale pour l'organisation de missions humanitaires en Inde, travaille depuis plusieurs années à l'hôpital Santa Cabrini. Photo Chantal Poirier
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Sarah-Maude Lefebvre et Yves Levesque

2023-12-07T05:00:00Z
2023-12-07T10:16:27Z
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Les services secrets canadiens se sont intéressés à une association crainte par des groupes sikhs et musulmans. Mais son président, un réputé anesthésiste montréalais, jure que l'organisation qu'il dirige n'a rien à se reprocher.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a rencontré à deux reprises en 2019 le Dr Shivendra Dhar Dwivedi, qui travaille à l'hôpital Santa Cabrini, dans le quartier Rosemont à Montréal. 

Les agents du SCRS voulaient notamment discuter de l'ingérence indienne et de l’organisation dont il venait de devenir président, le Canada India Global Forum. 

Officiellement, cette association vise à renforcer les liens économiques entre l'Inde et le Canada. Mais elle suscite des questionnements sur ses liens avec le Bharatiya Janata Party (BJP), actuellement au pouvoir en Inde. Le parti a été accusé à plusieurs reprises de nourrir la violence et l’intolérance envers les groupes minoritaires, comme les musulmans et les sikhs, et d’avoir adopté des lois discriminatoires à leur égard dans le but de favoriser la majorité hindoue. 

«La discussion était confidentielle, mais je peux vous dire que nous avons parlé du Canada India Global Forum et de mon rôle dans la promotion de la relation canado-indienne dans les sphères économiques et politiques», indique le Dr Dwivedi, qui a parlé ouvertement de ses entretiens avec le renseignement canadien en entrevue dans son bureau à l'hôpital.

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Le médecin affirme qu’on l’a aussi questionné sur certaines actions posées par l’Inde. «[On m’a dit:] Est-ce que l’Inde fait ça? Pas à ma connaissance. Mais je ne connais pas les secrets du gouvernement non plus», dit-il. 

Le SCRS a décliné notre invitation à émettre des commentaires. L’Agence ne révèle que très rarement des informations sur ses activités.

Bien branché en politique

Le Dr Dwivedi ne cache pas que c'est le BJP qui a fondé son association en 2013, qui s'appelait alors Overseas Friends of BJP Canada. Le but premier de son organisation était de promouvoir et d’aider à porter au pouvoir le BJP en Inde. 

Il affirme que celle-ci n'a maintenant plus de liens avec le parti politique. «Mais c'est certain que moi personnellement, j’ai des liens avec le BJP», admet-il. 

Shivendra Dhar Dwivedi, qui siège aussi à une fondation qui vient en aide aux étudiants étrangers, est connu dans le milieu médical pour les nombreuses missions médicales humanitaires qu'il a organisé en Inde au cours des dernières années. En entrevue, il se vante d'avoir l'oreille de politiciens influents au Canada. 

Le médecin montréalais allègue avoir notamment amassé des fonds pour la campagne au leadership de Justin Trudeau et avoir milité longuement pour les libéraux. Il dit placer maintenant sa confiance dans les conservateurs de Pierre Poilievre.  

«Quand je parle, les gens m’écoutent. Je peux appeler M. Trudeau, il va prendre mon appel. (...) Je peux appeler Jean Charest. Je connais M. [Pierre] Poilievre. J’ai soupé avec lui il y a un mois», dit le médecin. Une rencontre que n'a pas voulu confirmer le Parti conservateur du Canada. 

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Amis indiens

Le médecin montréalais dit avoir aussi plusieurs «amis» proches du pouvoir en Inde. En entrevue, il a cité le nom de plusieurs politiciens indiens, comme Dinesh Sharma, ex-ministre indien et ancien vice-président du parti BJP.  

Il se dit aussi proche de la diplomatie indienne, notamment du Haut-Commissariat de l'Inde au Canada, à qui il rend parfois des «services» pour aider la communauté. Mais jamais à des fins politiques, assure-t-il. 

Il affirme également avoir été parmi les organisateurs de la visite du premier ministre indien et chef du BJP Narendra Modi au Canada en 2015, un dossier sur lequel le SCRS l’a aussi questionné, dit-il. 

Agents étrangers

L’intérêt envers le Dr Dwivedi et son organisation dépasse aussi les frontières canadiennes. En septembre dernier, le médecin a été interrogé par le New York Times dans le cadre d’un article sur les tensions au Canada que créent la politique pro-hindoue du gouvernement indien et les accusations récentes du premier ministre Justin Trudeau selon lesquelles des agents indiens seraient l'auteur du meurtre d'un militant sikh l'été dernier en Colombie-Britannique. 

L'article rappelait notamment que l’organisation de M. Dwivedi avait subitement délaissé le nom de «Overseas Friends of BJP Canada» pour celui de «Canada India Global Forum» en 2018. 

Questionné à ce sujet, M. Dwivedi avait alors affirmé que son organisme était indépendant du BJP, contrairement aux autres associations «Overseas Friends of BJP» qui existent un peu partout dans le monde. 

Aux États-Unis, la USA Overseas Friends of BJP est inscrite au registre des agents étrangers depuis 2020. Un tel registre n’existe pas au Canada, mais le gouvernement Trudeau a indiqué au cours de la dernière année vouloir en créer un prochainement. 

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Une enquête publique sur l’ingérence étrangère débutera cet hiver à Ottawa et se penchera sur les activités d'ingérence auxquelles la Chine, la Russie et d'autres acteurs étrangers se livrent au Canada. 

Le premier ministre indien Narendra Modi, en compagnie de l'ex-premier ministre Stephen Harper, lors de sa visite au Canada en 2015.
Le premier ministre indien Narendra Modi, en compagnie de l'ex-premier ministre Stephen Harper, lors de sa visite au Canada en 2015. REUTERS

Le Dr Dwivedi parle fièrement des nombreuses personnalités politiques qu'il côtoie. En 2012, il publiait ce cliché sur Facebook en compagnie de l'ancien premier ministre du Québec Jean Charest et de sa femme Michèle Dionne.
Le Dr Dwivedi parle fièrement des nombreuses personnalités politiques qu'il côtoie. En 2012, il publiait ce cliché sur Facebook en compagnie de l'ancien premier ministre du Québec Jean Charest et de sa femme Michèle Dionne. PHOTO FACEBOOK tirée de la page de Shivendra Dwivedi

Une organisation crainte en sol canadien

Des associations sikhes et musulmanes disent craindre l'organisation présidée par le Dr Dwivedi, affirmant qu'elle agirait au nom du BJP en sol canadien.

Un rapport conjoint publié en mars dernier par le Conseil national des musulmans canadiens et l’Organisation mondiale des sikhs du Canada a nommément cité le Canada India Global Forum (CIGF) comme faisant partie du réseau international du parti politique indien. 

La présence de groupes qui agissent pour le compte du BJP au Canada, «comme le CIGF», «s’accompagne d'un discours troublant (...) qui oppose les hindous aux minorités en Inde, comme les musulmans et les sikhs», peut-on notamment lire dans le rapport RSS Network in Canada

Celui-ci a relevé plusieurs déclarations troublantes du vice-président de l'organisation, Anil V. Shringri. «Peu importe où vont les musulmans, ils y tuent des enfants innocents et y violent des femmes», a-t-il notamment écrit sur X en juin 2017, selon le rapport. Ce message n’est plus visible en ligne. 

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Source: Le rapport "RSS Network in Canada"
Source: Le rapport "RSS Network in Canada"

Mais notre Bureau d'enquête a également relevé d'autres messages plus récents. «Seuls le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni tolèrent le militantisme sikh. Encourager le terrorisme va contre l'humanité», a aussi affirmé M. Shringi plus tôt cette année sur X .

Tiré du compte X de Anil V. Shingri
Tiré du compte X de Anil V. Shingri
«Anti-Canadiens»

Le rapport décrit aussi comment des organisations comme celle dirigée par le Dr Dwivedi agiraient au Canada pour faire avancer les intérêts du gouvernement pro-hindou, en décrivant les sikhs et musulmans comme des «terroristes», des «anti-Canadiens» ou «anti-Indiens». 

«Cette antipathie sectaire, discriminatoire et souvent haineuse (...) constitue une menace directe pour les musulmans et les sikhs ainsi qu’au tissu social du Canada», peut-on lire. 

Une analyse que partage Catherine Viens, chercheuse associée au Centre d'études et de recherche sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora de l’UQAM. «L’une des stratégies du BJP est de présenter les membres de communautés autres que hindoue comme étant des terroristes violents et dangereux. Les hindous sont les «bons». (...) L’influence à ce sujet dans la diaspora aide à long terme le BJP à rester au pouvoir (...) et à faire avancer son agenda hindou», dit-elle en entrevue.

Liberté d'expression

Des critiques que repousse du revers de la main le Dr Dwivedi et qu’il attribue à un «agenda politique» de la diaspora musulmane et sikhe. «Ils ne sont pas contents de voir que l’Inde est en plein développement économique», dit-il. Toutefois, il a indiqué ne pas toujours être en accord avec les propos que tient son vice-président sur les réseaux sociaux.

De son côté, Anil V. Shringi a revendiqué la «liberté de parole et d’expression au Canada». 

«Mes [messages] personnels sont l’expression de ma liberté personnelle et ne sont pas liés à une organisation avec laquelle je travaille. Et je suis personnellement solidaire avec les personnes qui sont contre le terrorisme, contre la violence. Je ne suis pas du tout anti-musulman», nous a-t-il écrit. 

Des allégations à prendre au sérieux, selon Justin Trudeau

Le premier ministre Justin Trudeau a rappelé la semaine dernière que l’Inde devait « prendre au sérieux » les allégations canadiennes sur la responsabilité d’agents indiens dans le meurtre d’un militant sikh survenu en juin.

Il a émis ces commentaires après que les autorités américaines aient annoncé avoir arrêté un homme qui aurait été embauché par un responsable du renseignement indien pour organiser le meurtre d’un militant sikh à New York.

Le suspect aurait indiqué à un agent d’infiltration qu’il avait trois cibles canadiennes, en plus de l’assassinat qu’il souhaitait organiser en sol américain.

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