Capituler avec panache: Mark Carney baisse les coudes


Yasmine Abdelfadel
Mark Carney est arrivé en politique drapé d’une aura presque mythologique. L’homme providentiel. Le banquier central devenu sauveur national. Celui qui, grâce à son entregent, à sa fine compréhension des leviers financiers et à sa prestance internationale, allait tenir tête à Donald Trump. Un stratège en veston sur mesure, capable de transformer un rapport de force asymétrique en un accord gagnant. C’était la promesse, du moins.
Il faut croire qu’on a mal compris la nature de la promesse.
Elbows up!
Depuis des mois, on nous berce avec l’idée que tout se déroule bien. Que Carney parle à Trump directement, sans intermédiaire, dans une sorte de bromance économique musclée. «Elbows up», qu’ils disaient. Un mantra devenu slogan national, presque un cri de guerre. On imaginait des négociations musclées, tendues, millimétrées. On nous faisait croire que la gifle tarifaire américaine n’était qu’un mal temporaire, qu’il ne s’agissait que de patienter pendant que notre stratège sortait l’arme secrète de son veston.
Et on y a cru. Même lorsqu’il a plié sur la taxe des services numériques, on a voulu y voir une reculade tactique. Une manœuvre provisoire, un pion sacrifié pour sauver la tour. Après tout, un bon joueur d’échecs sait perdre une pièce pour gagner la partie.
Mais voilà que le masque glisse.
Changement de cap
Dans une déclaration surprenante, Carney a laissé entendre que la fin des tarifs était improbable. Pas temporairement improbable. Structurellement. Fondamentalement. Il a parlé d’un cadre, d’un mécanisme, d’un arrangement – bref, d’un pansement sur une hémorragie. Traduction libre: les tarifs sont là pour rester, et tout ce qu’on peut espérer désormais, c’est d’en adoucir les bords.
Les secteurs de l’acier, de l’aluminium, de l’automobile, pendant ce temps, continuent d’absorber les coups. D’attendre. D’espérer. Le 1er août approche et, avec cette échéance, la perspective d’un accord... ou d’une résignation habilement emballée dans une rhétorique de gestion de crise.
Car c’est bien à cela qu’on assiste: un changement de paradigme. Il ne s’agit plus d’éliminer les tarifs. Il s’agit de les «gérer». De les «encadrer». De les «minimiser». On ne parle plus de victoire, mais de reddition élégante.
Capitulation
On nous dira que Carney n’avait pas de baguette magique. Qu’il a été méticuleux, proactif, impliqué, rigoureux. Peut-être. Mais il faut bien reconnaître que malgré tout, il n’aura pas livré ce pour quoi il a été élu. Et surtout, il commence à recadrer la promesse elle-même. Il ne s’agissait peut-être pas de négocier la fin des tarifs... mais seulement d’en atténuer l’humiliation.
La vraie question, maintenant, est la suivante: cette capitulation progressive, feutrée, bien emballée dans du jargon diplomatique, marquera-t-elle la fin de la lune de miel entre Mark Carney et les Canadiens?
Peut-être pas aujourd’hui. Mais à force de lever les coudes sans jamais frapper, on finit par avoir mal aux épaules.