Canada-États-Unis: malgré l'intense rivalité, elles ont trouvé l'amour chez l'ennemi

Mylène Richard
Marie-Philip Poulin, Ann-Renée Desbiens et leurs coéquipières le répètent : chaque match contre les États-Unis est disputé comme si c’était une finale olympique. Mais parfois, l’ennemie devient une amie et même la personne avec qui l’on partage sa vie.
• À lire aussi - Hockey féminin: les Américaines prêtes à rebondir
Au fil des ans, des couples ont vu le jour et le plus connu est certainement celui formé de Caroline Ouellette et de l’Américaine Julie Chu.
Elles se sont rencontrées officiellement à l’été 2005 quand la joueuse de centre de la Québécoise avec l’équipe nationale, Jennifer Botterill, qui évoluait avec Chu à l’Université Havard, a invité les deux hockeyeuses à travailler auprès de jeunes lors d’un camp de hockey à Peterborough, en Ontario.
Deux capitaines
La chimie a rapidement fait son œuvre pour Ouellette, qui était membre de l’équipe canadienne senior depuis 1999, et Chu, qui a donné ses premiers coups de patin avec l’équipe principale des États-Unis deux ans plus tard.
Les deux amoureuses se sont donc affrontées sur la scène internationale pendant environ 13 ans. Elles ont également été capitaines de leur formation respective.
«Une chose qui a aidé, c’est qu’on n’était pas des joueuses du type salaud, on n’était pas détestées par l’adversaire», raconte l’entraîneuse adjointe avec Équipe Canada, qui disputera ce soir à Laval le septième et ultime match de la Série de la rivalité, une confrontation qui est égale 3 à 3.
«Ça s’est quand même bien passé avec nos coéquipières, assure la Montréalaise de 43 ans. Les gens ont réalisé que ce n’était pas une histoire d’un moment, mais que c’était sérieux, qu’il y avait vraiment quelque chose de spécial entre nous.»

Plusieurs finales
Au cours de leur carrière, le couple a croisé le fer lors de quatre Jeux olympiques, Ouellette étant couronnée chaque fois, tandis que Chu devait se contenter de trois médailles d’argent et d’une médaille de bronze. Au Championnat du monde, c’est Chu qui a eu le dessus, avec cinq triomphes contre quatre pour sa conjointe. Cette dernière a toutefois pris sa retraite avec sacre au Mondial.
«On a toujours été capables de séparer les deux, précise Ouellette. Si je gagnais un gros match, elle me donnait mon espace, mon temps avec mon équipe. Même chose si elle gagnait un championnat du monde. J’avais l’habileté de la laisser être fière et célébrer.»
Une famille à Montréal
Aujourd’hui, les deux anciennes athlètes ont un autre défi à relever, mais cette fois, elles sont ensemble dans le même bateau. Ouellette et Chu élèvent deux petites filles, Liv, 5 ans, et Tessa, 2 ans et demi.
«J’ai l’impression de partager ma vie avec la meilleure mère du monde. Elle est patiente et dévouée», encense Ouellette.
Avant même de fonder une famille, le couple avait choisi de vivre à Montréal, une décision qui n’a pas été facile à prendre, surtout pour Chu, qui est née au Connecticut.
«Il y a eu une période dans notre relation où c’est devenu difficile parce qu’on faisait du longue distance, raconte Ouellette. Ce qui a joué en faveur de Montréal, c’est qu’il y avait les Canadiennes [de la défunte Ligue canadienne de hockey féminin]. C’était la meilleure place pour continuer à jouer et à s’entraîner afin de faire partie de nos équipes nationales.»

Avec Concordia
Chu s’est alors trouvé un emploi à temps partiel avec les Stingers de l’Université Concordia. Puis, elle a remplacé Les Lawton, qui a été victime d’un AVC majeur, avant de devenir l’entraîneuse-cheffe. Ouellette la seconde, occupant un emploi à temps plein aussi, une «job de rêve».
«On a eu plein d’offres pour déménager, mais on aime ce qu’on fait, indique l’ancien numéro 13. On aime le groupe d’âge avec lequel on travaille. Ces athlètes traversent toutes sortes de choses durant leur stage universitaire. On peut les aider à trouver leur voie et leur place dans la société, à devenir des leaders. C’est aussi un cycle ; les filles graduent, quittent et de nouvelles arrivent. Ton message n’expire jamais. C’est le secret du coaching universitaire!»
Ce soir, Ouellette sera derrière le banc du Canada et Chu regardera le match décisif de la Série de la rivalité en encourageant les États-Unis. Peu importe le résultat, elles retourneront à la maison avec Liv et Tessa.
«À mes premières années, il fallait s’haïr»
Les formations féminines de hockey du Canada et des États-Unis ont développé l’une des plus intenses rivalités dans le monde du sport. Avant le match de ce soir, elles s’étaient affrontées 173 fois depuis 1990, l’unifolié dominant avec 98 victoires.
«À mes premières années, il fallait s’haïr, relate Caroline Ouellette, qui s’aligne avec l’équipe nationale senior depuis 1999. Maintenant, avec les ligues professionnelles et le hockey universitaire, on a appris à se connaître. Il y a des amitiés qui se sont formées. Mais ce n’est pas parce que tu es amie, que tu veux que l’autre gagne la bataille ou la course vers la rondelle. Il y a encore cette rivalité physique où on ne se donne pas un pouce et on y va à fond.
«Mais c’est quand même beau de voir que hors glace, les filles travaillent sur des projets ensemble pour faire avancer le hockey féminin», constate-t-elle.
«C’est pour ça qu’on joue au hockey»
Lundi soir, à Trois-Rivières, la recrue Élizabeth Giguère a joué contre Rebecca Gilmore et Kali Flanagan, deux coéquipières avec le Pride de Boston, dans la Premier Hockey Federation, la même ligue que la Force de Montréal.
«Ça ne change rien. Quand tu portes un chandail du Canada et elles un des États-Unis, sur la glace, on n’est pas amies et c’est ben correct comme ça. Quand on va retourner à Boston, on va jouer ensemble et on va être amies», explique Giguère.
À 25 ans, la native de Québec vit ses premiers moments avec l’équipe nationale senior. Elle avait déjà goûté à cette rivalité avec les formations canadiennes de développement et des moins de 18 ans, mais là, elle a vite réalisé qu’il s’agissait d’un tout autre niveau.
«Je me rappelle ma première partie [le 15 novembre], raconte Giguère. C’est juste plus gros qu’on pense. Tu vois les parties avec Marie-Philip [Poulin] et Hilary Knight [des États-Unis] et là tu es sur la glace pour une mise en jeu et elles sont à côté de toi. C’est gros, mais c’est le fun. C’est intense et c’est pour ça qu’on joue au hockey.»
Un meilleur calibre
Il n’y a pas que la rivalité qui a changé, mais aussi le calibre de jeu.
«La vitesse, la robustesse, les lancers... À l’époque, seulement quelques joueuses avaient vraiment des bons tirs. Maintenant, tu peux être Kendall Coyne Schofield [une Américaine] à 5 pi et 2 po et ton lancer est aussi bon qu’une fille de 5 pi et 10 po. Les filles sont mieux entraînées, elles sont de meilleures athlètes, la technologie des bâtons a évolué. Ça rend le jeu beaucoup plus excitant.»