Ça suffit de médicamenter afin de cacher nos lacunes parentales

Véronique Dalpé, Enseignante au préscolaire depuis 22 ans
Voici l’histoire de Gabriel, petit garçon de 5 ans en pleine santé. On parle ici d’un enfant curieux, actif, intelligent et affectueux. Malheureusement, même s’ils font preuve de bonnes intentions, les parents de Gabriel manquent d’outils et de stratégies lorsqu’ils doivent intervenir auprès de lui.
Plutôt que d’assumer leur rôle d’autorité auprès de Gabriel, ils négocient sans arrêt avec lui, peu importe la situation. Afin de lui éviter les échecs et les frustrations, ils effectuent les tâches à sa place et ils s’assurent de repousser ou de contrer les difficultés susceptibles de lui causer du tort. Ils le félicitent à outrance et le récompensent systématiquement en échange de sa collaboration ou de son bon comportement. Lorsque Gabriel mentionne son désir de posséder quelque chose, ils répondent à ses demandes en évitant de le faire patienter. En réaction à ses crises, on lui promet une récompense pour qu’il se calme et on tente de discuter avec lui afin de le raisonner.
Peu à peu, Gabriel adopte des comportements perturbateurs. Ses crises deviennent plus fréquentes et il souhaite constamment décider. Aussitôt qu’il n’obtient pas ce qu’il désire, il réagit violemment. Devant ses accès de colère, ses parents se sentent démunis et ne savent plus comment réagir. Ils le confrontent de moins en moins de peur qu’il explose et ils s’offrent des moments de répit lorsqu’il joue avec sa tablette électronique. Stressés et épuisés, ses parents se disputent souvent et perdent patience fréquemment. Loin de s’améliorer, la situation s’envenime.
Évaluation
À l’école, Gabriel provoque et frappe les autres élèves à la moindre frustration. Il se met en colère lorsqu’il se fait dire non. Il abandonne au moindre obstacle et il éprouve de la difficulté à se concentrer. En plus de se sentir inquiet, il possède une faible estime de lui et présente un manque de confiance en soi. Lorsqu'un incident se produit avec d’autres élèves, ses parents excusent son comportement ce qui le déresponsabilise à chaque fois de ses actes.
Face à cette situation, et sous les recommandations de l’enseignante, les parents décident de consulter leur médecin qui les dirige vers un neuropsychologue afin de le faire évaluer. En attendant l’évaluation, le médecin fait remplir un questionnaire aux parents sans consulter le milieu scolaire (ce qui arrive, croyez-moi). Celui-ci émet l’hypothèse suivante: Gabriel présenterait un trouble oppositionnel avec provocation associé à un trouble de l’attention.
Il décide de lui prescrire des médicaments pour traiter ses difficultés attentionnelles sans s’attarder à la dimension familiale et sans consulter le milieu scolaire. Selon mon expérience, je déplore le fait que le premier réflexe des médecins consiste à prescrire des médicaments plutôt que de guider les parents vers des ressources ou des thérapies familiales. Malheureusement, la médication constitue une solution rapide et efficace contrairement à un examen approfondi de la situation!
Dénonciation
Chaque année, je constate avec stupeur que nous avons tendance à discuter des élèves en termes de diagnostic et de troubles. Ce n’est pas normal! Selon moi, l’augmentation du nombre d’enfants médicamentés au Québec à la suite d’un diagnostic de trouble, résulte non pas systématiquement d’un problème neurologique, mais parfois d’un manque de stratégies parentales comme dans le cas de Gabriel.
Au risque de déranger, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains pour dénoncer cette situation inacceptable qui se produit sous mes yeux année après année. Si on aime nos enfants comme on le prétend, il faut cesser de les médicamenter pour camoufler nos lacunes parentales. J’en ai assez de me taire pour ne pas déplaire. Arrêtons de proclamer que la problématique provient de l’enfant et remettons d’abord en question nos pratiques et nos interventions en tant que parents.
Il était une fois l’histoire de Gabriel, mais cette histoire n’est pas uniquement la sienne. C’est aussi celle de plusieurs enfants qui vivent la même situation. Des enfants que l’on médicamente non pas toujours pour des troubles neurologiques, mais parfois en raison d’un milieu familial incohérent porteur de lourdes conséquences. Si le bien-être de nos petits nous tient à cœur, cessons de fermer les yeux devant ce phénomène et agissons afin de changer le cours de l’histoire des enfants comme Gabriel.
Véronique Dalpé
Enseignante au préscolaire depuis 22 ans