Budget du Québec: pourquoi est-ce qu’on capote autant avec le déficit?

Andrea Lubeck
Le ministre des Finances Eric Girard a dévoilé mardi un «déficit record» de 13,6 milliards en chiffres absolus dans son budget 2025-2026. Face à ces chiffres, plusieurs vont crier à la mauvaise gestion des finances. Mais est-ce que c’est justifié? On a posé la question à un économiste.
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Les projections du gouvernement Legault incluaient un déficit de 9 milliards $... jusqu’à ce que Donald Trump mette ses menaces de tarifs douaniers à exécution. Pour en atténuer les impacts sur l'économie, le ministre a décidé d’investir 5,4 milliards $ sur cinq ans.
Aussitôt le budget publié, les réactions n’ont pas tardé à se faire entendre. Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay, a qualifié François Legault de «super king des déficits», tandis que le porte-parole en matière de Finances des libéraux, Frédéric Beauchemin, a affirmé que «la CAQ est irresponsable».
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a pointé du doigt les «mauvais choix successifs de la CAQ». De son côté, l’Institut économique de Montréal (IEDM) a ironisé que «le ministre Girard semble bien meilleur pour trouver des raisons de faire des déficits qu’il ne l’est pour trouver et éliminer le gaspillage au gouvernement».
Des critiques justifiées?
Mais y a-t-il vraiment matière à s’inquiéter du bilan écrit à l’encre rouge du gouvernement?
Sans dire qu’un déficit n’est pas important, il y a des nuances à apporter, souligne le professeur au département de sciences économiques de l’Université de Sherbrooke, François Delorme.
Pour voir si le déficit témoigne réellement d’un manque de contrôle du gouvernement sur les finances, il faut le comparer au produit intérieur brut (PIB) — un indicateur qui mesure l’activité économique d’une région ou d’un pays.
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«Si je t’emprunte 1000$ et que mon salaire annuel, c’est 10 000$ par année, j’ai une grosse dette envers toi. Mais si je gagne 100 000$ et que je te dois 1000$, mon niveau d’endettement est de 1%. Les 1000$ ne veulent rien dire tant qu’on ne les met pas dans un contexte de capacité de remboursement», illustre-t-il.
Le budget 2025-2026 chiffre ainsi le déficit à 2,2% du PIB de la province, qui est estimé à plus de 600 milliards $.

Comme un budget de ménage
Il faut savoir qu’un gouvernement fait son budget de la même manière qu’un ménage. Idéalement, il arrive à faire balancer la colonne des revenus et celle des dépenses. C’est encore mieux si son bilan est positif.
Il existe toutefois une différence entre les deux: un gouvernement peut théoriquement s’endetter à l’infini.
Mais dans les faits, ça ne veut pas dire que le Québec peut se mettre à dépenser sans compter. Si ça arrivait, la cote de crédit que lui donnent les agences de notation diminuerait, ce qui ferait exploser les taux d’intérêt de ses emprunts.
«On ne pourrait pas avoir une dette de 160% du PIB sans qu’il y ait une décote. Même à 60% du PIB, on pourrait être décoté. Les marchés financiers n’aimeraient pas ça», souligne François Delorme.
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L’équilibre budgétaire, un objectif «dogmatique»
Au Québec, le gouvernement doit atteindre l’équilibre budgétaire dans une période maximale de cinq ans — c’est la loi —, ce que le ministre Girard s’engage à faire le 31 mars 2030.
Mais mise à part la volonté d’équilibrer le budget du gouvernement, aucune théorie ne justifie cette obligation, fait valoir le professeur Delorme.
«Vous ne trouverez nulle part dans un livre de macroéconomie qu’il faut absolument avoir un déficit zéro, que c’est une règle incontournable, sinon on s’en va en enfer. Le Québec est dogmatique par rapport au déficit zéro», précise-t-il.
Pour atteindre le déficit zéro, le gouvernement a deux choix: augmenter ses revenus (en augmentant les impôts, par exemple) ou diminuer ses dépenses (en diminuant la taille des enveloppes ou en sabrant certains programmes).
Le ministre Girard a opté pour un mélange des deux. D'un côté, il compte imposer une taxe sur les véhicules verts, sur les véhicules de luxe et sur les primes d'assurance. De l’autre, il veut diminuer la croissance des dépenses, notamment en santé et en éducation, et éliminer certains crédits d’impôt peu utilisés.