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L'article provient de Le Journal de Québec
Culture

Broue: «Une fierté nationale» -Martin Drainville

Une scène de la pièce de théâtre Broue, qui met maintenant en vedette Benoit Brière, Martin Drainville et Luc Guérin.
Une scène de la pièce de théâtre Broue, qui met maintenant en vedette Benoit Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. Photo courtoisie
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Photo portrait de Cédric Bélanger

Cédric Bélanger

2021-10-30T04:00:00Z
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SAGUENAY | Les spectateurs entraient lentement au Théâtre Banque Nationale de Chicoutimi, en ce jeudi soir d’octobre frais et venteux, quand l’un d’entre eux y est allé d’une prédiction qu’on pourrait qualifier de peu audacieuse : « Ouain, a-t-il dit, ça risque d’être plus drôle icitte, à soir, que regarder la game des Canadiens. » 

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Comme de fait. Pendant que le Tricolore subissait un cinquième revers consécutif, plus de 600 personnes se sont bidonnées à se taper sur les cuisses en voyant, ou revoyant, ou re-revoyant la mythique pièce de théâtre Broue.

Qu’elle soit jouée depuis 2019 par Benoit Brière, Luc Guérin et Martin Drainville, et non plus, comme ce fut le cas pendant 38 ans et 3322 représentations, par Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier, n’y change rien.

Photo Martin Alarie
Photo Martin Alarie

Dès que Brière, vêtu des haillons du clochard ivre Verrue, a fait son entrée à la taverne Chez Willy en titubant et en se tenant péniblement à la porte pour ne pas tomber, la foule a éclaté de rire et ça n’a pas lâché jusqu’à la fin.

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Le public riait tellement que la représentation a duré un bon dix minutes de plus que son minutage de base de 1 h 45 parce que les comédiens devaient parfois attendre que les rires s’estompent pour dire leurs répliques.

Ce qui déclenchait à nouveau les rires.

« Les gens pensent que ça fait partie du gag d’attendre. Mais non. On attend qu’il y ait un trou sonore pour qu’on puisse mettre une ligne que tout le monde va entendre », dit Martin Drainville.

Des retrouvailles émouvantes

Le Journal a rencontré les trois comédiens de Broue, à Saguenay, au lendemain de cette soirée qui marquait la première présentation de la pièce depuis l’abolition de la limite de spectateurs dans les théâtres, le 8 octobre.

Le trio, qui n’avait pas revêtu les costumes de Pointu, Ti-Mile et Bob depuis le mois d’août, craignait que le port obligatoire du masque plombe l’ambiance. Finalement, ils s’en sont fait pour rien. 

« C’était émouvant », avoue Luc Guérin.

Jouer dans la région qui a vu naître deux des vedettes de la distribution originale (Marcel Gauthier et Michel Côté viennent d’Alma) a rendu les comédiens fébriles, reconnaît Martin Drainville. 

« Nous étions énervés. On espérait que les gens du Saguenay–Lac-Saint-Jean nous donneraient la permission de jouer ça. »

« L’accueil d’hier (jeudi dernier), je l’ai pris comme une validation de notre proposition », renchérit Luc Guérin.

Le test des habitués

À l’instar de leurs illustres prédécesseurs, les nouveaux comédiens de Broue réalisent un petit sondage éclair avant chaque représentation de la pièce, question de savoir combien de spectateurs la voient pour la première, deuxième, troisième ou énième fois.

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Sans surprise, les recrues sont invariablement moins nombreuses que les vétérans, note Martin Drainville.

« D’un soir à l’autre, c’est toujours dans ces mêmes proportions. Les deux tiers ou les trois quarts de la salle l’ont déjà vue. »

Pour Broue 2.0, le défi est d’ailleurs de convaincre les habitués de la pièce qu’ils sont à la hauteur du trio original. Les comédiens disent sentir dans le regard des fans de Broue qu’ils sont en audition avant le début d’une représentation.

« Mais à la fin, se réjouit Benoit Brière, ils sont là, et, sans applaudir, ça nous regarde bien droit dans les yeux, le pouce levé, en voulant dire, c’est parfait, on va continuer de revenir. »

Ou, comme le disait tout simplement une spectatrice satisfaite de sa soirée : « Hey, c’était ben bon. J’ai vraiment beaucoup ri. »


Pour toutes les dates à venir, rendez-vous sur broue.ca 

« Profondément humain »  

Photo Martin Alarie
Photo Martin Alarie

Comment une pièce de théâtre créée il y a 42 ans peut-elle continuer de faire salle comble soir après soir ? Lors d’une conversation récente à bâtons rompus avec les nouveaux comédiens de Broue, plusieurs hypothèses seront avancées. L’une sort nettement du lot. Au-delà de son humour de tous les instants, le succès phénoménal de Broue pourrait-il être attribuable aux valeurs humaines que véhicule le spectacle ? 

C’est d’abord Benoît Brière, repreneur des personnages de Verrue, Léo, Bonin et Jean-Rock, qui s’aventure sur ce terrain. « L’absurdité poussée à son paroxysme, comme le fait Claude Meunier [un des quatre signataires des textes de la pièce], ça reste profondément humain », soutient-il. Luc Guérin abonde. Celui qui enfile les habits de Ti-Mil, Conrad et Peter l’Anglais avoue être très attaché au personnage de Bob le waiter en raison de l’amour et de la compassion qu’il éprouve pour les clients de sa taverne, aussi pathétiques et désespérés puissent-ils être.

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« J’aime Bob parce que c’est celui qui écoute les autres, qui les fait parler. Il est comme un lien entre ces personnages. La grande réussite des auteurs de Broue réside dans le fait que les waiters ont de la patience, mais ils ont aussi de l’amour. Ils ne jugent pas les personnages. »

Selon Martin Drainville, Broue a depuis longtemps dépassé ce qui servait de prétexte à l’écriture de la pièce : l’ouverture des tavernes aux femmes, en 1979.

« Pour le commun des mortels, on ne s’en souvient même plus de cette époque, plaide le comédien qui prête ses traits au pompier Pointu et à Travolta. Ce sont les personnages qui sont forts, ce sont des hommes qui ont de la difficulté à s’exprimer, ça sort un peu tout croche. Et ça existe encore. Les gens se reconnaissent. »

« Ils pensent qu’avec deux ou trois verres, ça va aller mieux, alors que c’est juste pire. C’est un élément de comédie qui est nourrissant, qui est énorme, mais en même temps qui est très vrai, très humain », ajoute Benoît Brière.

Fierté nationale

Or, si Broue poursuit sa route avec tant de succès, c’est aussi parce que les Québécois en ont fait un symbole de « fierté nationale », soumet Martin Drainville.

« C’est la pièce qui a été la plus jouée dans le monde par la même troupe. Pas dans une salle de 40 personnes où tu peux perdurer dans le temps, mais plutôt à grande échelle. C’est unique au monde. »

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Des blagues qui passent encore ?

Cela dit, Benoît Brière admet qu’il s’est demandé si, dans le contexte de 2021, après le mouvement #MeToo notamment, toutes les blagues contenues dans Broue passaient encore la rampe.

Après tout, voilà une pièce où un personnage affirme qu’il n’a rien contre les femmes puisqu’il en possède une à la maison.

« Personnellement, raconte Benoît Brière, il y avait des répliques que je n’étais pas certain de dire. Je ne savais pas si je pouvais me rendre là parce que c’était effrayant dire ça. Finalement, on s’est rendu compte que c’était une question de crédibilité du personnage. »

« En outre, ils sont de grands parleurs, petits faiseurs », enchaîne Martin Drainville, en donnant l’exemple de Gérard qui se vante devant ses chums de mener sa femme par le bout du nez, mais qui la supplie de le reprendre, tout piteux, quand celle-ci appelle à une ligne ouverte pour dénoncer ses sorties à la taverne.

« Ce sont des coqs dans la taverne. Ils veulent prouver qu’ils sont des mâles, mais hors de cette basse-cour, ce n’est pas eux qui mènent », poursuit l’acteur.

« Du génie »

Il reste que le point de départ de la popularité de Broue, c’est la qualité des textes. La nouvelle troupe ne se fait pas prier pour chanter les louanges de Claude Meunier, Louis Saia, Jean-Pierre Plante et Francine Ruel.

Luc Guérin est particulièrement fan du sketch où deux clients de la taverne tentent de faire la conversation avec son personnage de Peter l’Anglais, malgré leur connaissance approximative de la langue de Shakespeare.

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« L’anglophone s’en va et les deux gars continuent de parler en anglais. Ça, c’est du génie. Ça me fait pleurer de rire. Encore aujourd’hui, je me change pendant que les gars restent seuls sur la scène et je les entends dire : How you doing tonight? Je pleure tellement je trouve ça drôle. » 

Des dates, des chiffres et des récompenses     

La troupe originale, Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté.
La troupe originale, Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté. Photo courtoisie
  • 21 mars 1979 : première représentation au Théâtre des Voyagements, à Montréal, devant 80 personnes.  
  • 15 octobre 1990 : première de l’adaptation belge Chez Willy, qui tiendra l’affiche pendant cinq ans en Belgique. Elle a aussi été présentée en France.  
  • 22 avril 2017 : 3322e et dernière représentation avec la troupe d’origine à la salle Maurice O’Bready de Sherbrooke.  
  • Juin 2019 : Broue renaît avec Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin.    
La troupe originale, Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté.
La troupe originale, Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté. Photo courtoisie
  • Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier ont joué Broue devant 3 394 195 spectateurs.  
  • Ils détiennent le record Guinness de longévité pour une pièce jouée par une même distribution.  
  • Broue a été traduite en anglais et présentée à Montréal, Toronto, Vancouver et à Allentown, aux États-Unis.  
  • Durant les années 1980, une autre troupe formée de Patrice L’Écuyer, Guy Mignault et Marcel Leboeuf a tourné avec la pièce.    

Principaux prix  

  • 1994 : Prix spécial de l’Académie québécoise du théâtre à la première Soirée des Masques.  
  • 1999 : Olivier exceptionnel pour les 20 ans de Broue.  
  • 2009 : Médaille d’honneur de l’Assemblée nationale du Québec.  
  • 2017 : Croix du service méritoire de la gouverneure générale du Canada.     
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« On ne voit pas le jour où on va se tanner »  

Même s’ils écartent le projet d’égaler le record de 3322 représentations de Marc Messier, Michel Côté et Marcel Gauthier, les comédiens actuels de Broue ont l’intention de jouer la pièce tant et aussi longtemps que le public en redemandera. « On ne voit pas le jour où on va se tanner », dit Martin Drainville.

Samedi dernier, ils donnaient déjà leur 100e représentation. Et pas n’importe où. À Alma, à la salle... Michel-Côté.

Sur leur site web, une quarantaine de dates sont affichées pour 2022. D’autres s’ajouteront, c’est une certitude.

« Il n’y a pas de plan. Nous en sommes à envisager 2023, mais nous n’avons aucune idée vers où ira la demande », indique Martin Drainville.

L’engouement demeure si élevé que le trio actuel croit que la pièce lui survivra. « Des gens reviennent pour la présenter à une autre génération. Donc, je ne peux pas croire qu’il n’y aura pas un autre trio qui voudra prendre le flambeau quand on aura fini. C’est souhaitable », opine Benoit Brière.

« Ils se sentaient épiés »

S’il a un plaisir fou à jouer Broue, le trio Brière-Drainville-Guérin ne garde pas un si bon souvenir du soir de première, en juillet 2019, quand les membres du nouveau trio ont joué la pièce devant les comédiens d’origine.

« Honnêtement, ce n’était pas une belle soirée », concède Luc Guérin.

« Pas parce que ça a mal été, mais nous n’avions pas de liberté. Les gars [Côté, Gauthier et Messier] non plus n’ont pas connu une belle soirée. Chaque fois qu’on faisait un gag sur scène, les gens observaient leur réaction. »

« Ils se sentaient épiés. On le sentait sur scène », note même Benoit Brière.

« Ma blonde était dans la salle et elle m’a dit que les gens faisaient carrément ça : à chacun des gags, ils regardaient les gars. Tout le temps », renchérit Luc Guérin.

Une complicité payante

Ça n’a pas ralenti la nouvelle troupe, qui a vite trouvé ses repères dans les nouveaux décors de la taverne Chez Willy grâce à la complicité que les trois comédiens ont développée au fil des nombreuses pièces de théâtre dans lesquelles ils ont joué ensemble.

« C’est comme un trio de hockey. Parfois, tu ne regardes pas où tu envoies ta passe, mais tu sais que l’autre est là et qu’il devrait l’avoir sur la palette. Forts des neuf shows qu’on a faits avant, on sentait que nous étions équipés pour au moins pouvoir s’essayer », explique Martin Drainville.

« Ça fait quand même trente ans qu’on se connaît », conclut Luc Guérin.

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