Briser les chaînes de la peur


Josée Legault
Pour commémorer le 30e anniversaire du référendum de 1995, Le Journal publie une série de reportages, d’entrevues et de chroniques proposant un retour sur ce rendez-vous historique.
S’il y avait une seule chose à retenir du référendum de 1995, ce serait la fin de la peur. Celle-là même qui habitait encore de nombreux Québécois devant l’inconnu d’une indépendance devenue possible.
Même la victoire serrée du Non n’y a rien changé. D’où cette impression irrépressible dans les jours suivant le 30 octobre 1995 d’un projet non achevé.
Pour un peuple dont la crainte de voler un jour de ses propres ailes avait été amplement et longuement nourrie par des élites trop confortables, prend-on seulement la mesure d’un tel tournant? L’aurait-on même oublié?
Or, briser les chaînes de la peur n’était pas une mince tâche. S’il est vrai que dans le camp du Oui, Mario Dumont et Lucien Bouchard y ont contribué, l’ultime porteur de ce combat était Jacques Parizeau.
Premier ministre du Québec, il ne s’en était jamais caché. Il gouvernerait, mais uniquement dans l’optique de la préparation minutieuse d’un rendez-vous référendaire promis à visière levée dès la campagne électorale de 1994.
M. Parizeau savait néanmoins que la peur, peut-être plus encore que le camp adverse, était son pire ennemi. Parce qu’il aimait profondément le Québec, il ne la jugeait cependant pas de haut.
Cette peur, il la comprenait au point de savoir d’instinct qu’il lui fallait amener les Québécois à la confronter pour mieux pouvoir la surmonter.
Une peur multiple
En fait, cette peur de longue date était multiple. Peur d’un autre référendum. Peur de diviser la société. Peur des «chicanes» de familles.
Peur de perdre gros, individuellement et collectivement, sur le plan économique. Peur même de dire le mot «indépendance».
Pour les apaiser, Jacques Parizeau a mis le paquet. Tout d’abord, en se comportant en chef déterminé et préparé jusque sur la scène internationale.
Comme économiste renommé, il a déconstruit un à un les épouvantails d’un appauvrissement soi-disant garanti du Québec s’il osait dire «oui».
Comme chef du camp du Oui, il a mobilisé de larges pans de la société civile et réuni derrière lui de nombreuses organisations de tous les horizons.
Surtout, face aux moqueries des banquiers de Bay Street et à la déferlante de dépenses fédérales outrancières sans égard aux règles entourant le référendum, Jacques Parizeau n’a jamais courbé l’échine.
N’ayez pas peur
Parce que Jacques Parizeau n’avait peur ni de rien ni de personne, il a su inspirer confiance à une part importante des citoyens du Québec.
Jamais avant lui et jamais depuis, un premier ministre du Québec n’aura autant su dompter la peur dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Son épouse et veuve, Lisette Lapointe, en garde l’héritage bien vivant. Sur le monument funéraire de M. Parizeau, il est d’ailleurs inscrit «N’ayez pas peur».
Sur la plaque ornant sa statue inaugurée en 2022 devant l’Assemblée nationale, on peut aussi y lire ses propres paroles:
«N’ayez pas peur. N’ayez pas peur de vos rêves. N’ayez pas peur de construire une société qui soit à l’image de vos ambitions. N’ayez pas peur des obstacles que vous trouverez sur votre route. N’ayez pas peur de rêver.»
Ce legs, que nul n’en doute, est immensément précieux.