Bris d’égalité CAQ-QS à Sherbrooke


Rémi Nadeau
Difficile de prédire qui remportera la chaude lutte de Sherbrooke entre la CAQ et QS. Une tournée des électeurs de la ville confirme le bras de fer et un certain clivage générationnel.
«Caroline St-Hilaire va l’emporter haut la main», me lance Alain, un directeur des ventes de 55 ans, qui trouve l’ex-jouteuse de LCN «excellente», et louange le positivisme affiché par François Legault.
Près du Carrefour de l’Estrie, les citoyens rencontrés samedi abordent d’emblée la gestion de la pandémie, comme si l’élection était un référendum.
Un père dans la quarantaine, originaire de Belgique, signale que sa famille appuiera la CAQ.
«Quand je compare avec la France et la Belgique, je suis globalement satisfait de la gestion. Est-ce qu’ils ont respecté tous leurs engagements? Non, notamment pour les médecins de famille, mais dans le contexte, c’était difficile.»
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Deux sœurs au crépuscule de la cinquantaine se livrent à un vibrant plaidoyer bleu pâle dès que je les accoste.
«C’était plate d’être confinés, mais Legault était là tous les jours pour nous protéger. Personne n’aurait fait mieux. Quand j’entends Éric Duhaime, j’ai envie de lui faire "couic"», dit l’une d’elles, enflammée, mimant de lui tordre le cou.
Désaccord
Ayant tout entendu, un militaire de 32 ans m’approche en me disant qu’il pense exactement le contraire.
«C’est quoi cet argument? On ne peut pas conclure que personne n’aurait mieux géré, ils n’ont pas eu l’occasion de le faire», commence Vincent, volubile, qui n’a pas aimé l’attitude «c’est moi qui décide» du premier ministre.
Il apprécie le discours d’Éric Duhaime sur la liberté, mais veut voir le reste de ses idées avant de faire son choix pour le 3 octobre, car «la crise sanitaire, c’est passé».
Un fédéraliste convaincu qui ne fait pas du tout ses 78 ans, totalement derrière la CAQ, me lance aussi des arguments sur la gestion de la pandémie.
«L’excellente campagne de vaccination, le meilleur ministre de la Santé, Christian Dubé, enfin un homme de chiffres», dit-il, rangeant la députée solidaire actuelle au rayon des «opportunistes».
Revirement
La forte tendance caquiste observée au centre commercial en avant-midi disparaît presque complètement lorsque je déambule ensuite sur les rues King et Wellington, alors que les gens profitent de la journée ensoleillée.
«Ce sera QS encore une fois, dit tout sourire un jeune homme de 32 ans, parce que la CAQ fait des mauvais choix en environnement et en éducation.»
Un jeune couple de 20 et 21 ans penche aussi pour l'orange.
«QS est un peu trop à gauche, mais je pense qu’ils ont la meilleure politique environnementale», signale le garçon.
La crise de la COVID-19 aura pour lui «zéro impact, c’est derrière nous».
Un autre étudiant fraîchement installé à Sherbrooke hésite entre QS et... la CAQ.
«Je sais ça paraît contradictoire. Je suis pour l’environnement, mais Legault peut nous faire avancer sur le plan de l’économie et il a bien géré la pandémie. Ça aurait été quoi si ça avait été eux?» dit-il en pointant une pancarte du tandem Massé/GND.
Un arboriculteur de 45 ans, en pause d’une promenade à vélo avec ses enfants, votera à nouveau pour la députée de QS.
«Pour moi et dans mon cercle d’amis c’est immuable», confie-t-il, conscient que la bataille pourrait être serrée avec la CAQ.
«Est-ce que je crains le résultat, pas trop... mais ce serait plate. Moi QS ça rejoint mes valeurs pour que les choses changent.»
Au centre-ville, des personnes plus âgées rencontrées le long de la rivière Saint-François ne sont pas tendres envers François Legault.
Un homme de 72 ans dont j’interromps la lecture d’un bouquin avait voté CAQ en 2018. Il est maintenant converti à Christine Labrie.
«Je ne suis pas membre de QS et je ne partage pas toutes leurs idées, mais c’est vrai que Legault a un côté Duplessis, j’ai été déçu.»
Une dame ne mâche pas ses mots pour décrire l’état de délabrement du réseau de la santé et soutient que «Legault, c’est le pire [...] Le Québec est sur respirateur artificiel».
Au bout du compte, la proportion des commentaires recueillis en faveur de QS en seconde moitié de journée fait penser à la remontée des Patriots contre les Falcons au Super Bowl de 2017!
Pas de doute, ce sera serré.
Par ailleurs, à une seule exception près, personne ne m’a parlé du Parti libéral du Québec ni du Parti Québécois autrement que pour expliquer leur allégeance dans le passé.
Sherbrooke en bref

Nombre d’électeurs: 52 633
Résultat en 2018:
- QS: 34,3%
- PLQ: 24,7%
- CAQ: 23,3%
- PQ: 14,6%
* Depuis 1970, la circonscription a changé de couleur huit fois
LES AUTRES RENCONTRES
ALLUME!
Alors que j’alterne entre la rédaction de notes et la discussion avec les passants, un homme lourdement handicapé, sur un quadriporteur stationné non loin de moi, fait beaucoup d’effort pour me dire quelque chose.
«Aide», que je finis par comprendre, après l’avoir fait répéter trois fois. Je réalise enfin qu’il a du mal à sortir ses bras des manches d’un ouaté inapproprié en ce samedi de chauds rayons de soleil.
«Désolé d’avoir mis du temps, mon vieux», dis-je honteusement, en le désencombrant avec un empressement soudain.
Je retourne à mes notes après son sourire de remerciement, mais constate qu’il essaie d’articuler autre chose. Je me penche à nouveau vers lui, incertain de ce que j’entends.
«Vous me dites Legault?» L’homme arbore alors un large sourire.
«Vous, vous êtes pour Legault, donc?» dis-je en levant le pouce pour m’assurer que c’est ce que je dois comprendre. Et il fait à nouveau un sourire entendu.
En voilà un qui a su se faire entendre.
COMPLOT?
Un homme dans la quarantaine que j’aborde près de son véhicule me dit qu’il va «mal paraître» s’il me répond sur sa perception de la politique.
«Il n’y a pas de bonnes réponses ou de mauvaises réponses, ce n’est pas un quiz, je veux savoir ce que vous pensez et pourquoi», lui dis-je pour le rassurer.
«Je n’irai pas voter et je n’y vais plus depuis 25 ans. La gestion de la pandémie, c’était dans l’agenda de l’élite politique pour nous enlever des droits», explique l’homme à l’allure sympathique, posément. «Je sais que le virus existe, là, mais il y a eu volonté d’en profiter», continue-t-il.
Quand je lui demande s’il a entendu, par exemple, des discours d’Éric Duhaime, il semble entendre ce nom pour la première fois.
Il se rappelle avoir déjà lu des propos de Pierre Poilièvre, mais ne suit pas la politique.
«C’est sans offense à vous, hein», qu’il me dit, comme si je serais vexé de son désintérêt.
Vraiment courtois!
UN PÉQUISTE
Dans toutes mes rencontres, un employé en construction de 39 ans est la seule personne qui entend voter pour le Parti Québécois encore cette fois-ci.
Le père de famille n’a pas digéré certains aspects de la gestion de la pandémie.
«Moi, dans mon cœur d’ouvrier, un couvre-feu à 20h et si tu ne le respectes pas tu es un criminel, la CAQ n’aura jamais mon vote.»
À ses côtés, sa conjointe, qui a voté pour le PQ et le Bloc depuis toujours, se montre plus hésitante.
«Legault a fait du bon, mais n’a pas tout livré, notamment dans la petite enfance... Je vais regarder... Peut-être QS.»