Brève histoire du rhum à Cuba


Jacques Lanctôt
L’histoire du rhum est intrinsèquement liée à celle de la culture de la canne à sucre. L’Europe avait besoin de sucre et lors de son deuxième voyage à Cuba, en 1493, Christophe Colomb transporte dans les cales de ses bateaux de milliers de boutures venues des îles Canaries pour être transplantées dans la terre grasse, rouge et chaude de l’Orient cubain. Tout semblait y pousser si facilement, en effet, comme en témoignait la nature verdoyante tout autour. Et la greffe eut lieu, si bien que les plaines, les collines et les vallées furent bientôt envahies de plantations vertes et chevelues.
Il fallait maintenant couper cette canne, ce qui n’était pas une mince tâche. Les Espagnols n’étaient pas du genre à s’éreinter, machette à la main, pour récolter le fier bâton gorgé du précieux liquide sucré qu’on dit aphrodisiaque. Mais comme au nom de Dieu, le colonisateur espagnol avait exterminé les populations autochtones, il fallait chercher ailleurs une main-d’œuvre à bon marché. Celle-ci se trouvait à portée de main, parmi ces milliers d’Africains que les maîtres du monde de l’époque avaient arrachés de leurs terres ancestrales et transportés, fers aux pieds, vers le nouveau continent. La culture de la canne à sucre est donc liée, au départ, à l’esclavage.
On raconte que dès 1650, des pirates et corsaires qui faisaient la pluie et le beau temps dans la région des Caraïbes avaient inventé une sorte de rhum à base de canne à sucre. L’ingestion de ce rude alcool les plongeait dans un état second qui favorisait les pires exactions.
Les esclaves, eux, commencèrent à fabriquer une eau-de-vie en distillant le guarapo extrait de la canne à sucre à l’aide d’outils rudimentaires. Petit à petit, ceux-ci se perfectionnèrent, jusqu’à donner un alcool transparent à l’odeur agréable. C’est ainsi qu’est né le rhum cubain, quelque part au milieu du XIXe siècle, et rapidement sa réputation se répandit à travers le monde. Ce rhum fin n’avait plus rien à voir avec cet alcool brut dont on abreuvait les militaires avant les combats pour leur insuffler courage et témérité.
Un peu partout sur l’île surgirent des distilleries qui imposèrent leurs marques, parmi lesquelles se distinguèrent les rhums Matusalem et Bacardi, mondialement connus et gagnants de plusieurs prix internationaux. Durant la loi de la prohibition aux États-Unis, des milliers d’Étatsuniens arrivaient à Cuba tous les jours pour, entre autres s’abreuver du précieux liquide blanc, doré ou brun, sec ou en cocktail. C’est ainsi que se construisirent de colossales fortunes, où la mafia joua un rôle important.
Au triomphe de la Révolution, en 1959, le gouvernement révolutionnaire nationalisa les raffineries de sucre et les distilleries, entre autres, et les frères Bacardi s’installèrent à Porto Rico tandis que les propriétaires de la marque Matusalem s’en furent en République dominicaine. Mais ils ne purent emmener avec eux le microclimat, cette terre riche et fertile, les précieux semis de canne à sucre qui avaient fait leurs preuves, année après année, les fûts en bois centenaires dans lesquels vieillissaient le rhum, bref tout ce qui constitue le véritable secret du rhum cubain, de même que le savoir-faire séculaire garanti par des maîtres dégustateurs qui, à eux seuls, valent leur pesant d’or.
Aujourd’hui à Cuba prédomine la marque Havana Club qui s’est associée à la firme française Pernod-Ricard pour assurer sa distribution à l’échelle internationale. Havana Club se conjugue en plusieurs variétés: blanc âgé, trois ans (recommandé pour les trois fameux cocktails : Mojito, Daiquiri et Cuba libre), Especial, Reserva, 7 ans, 15 ans, Ritual (37,8% alcool), etc. D’autres marques persistent en dehors de la grande famille Havana Club, comme Varadero, Legendario, Santero, Cubay, etc. Mais parmi les vrais amateurs de rhums cubains, on murmure que le seul rhum cubain authentique, porteur et garant de la tradition, c’est le rhum Santiago. Vous m’en donnerez des nouvelles. ¡Salud!