L’interdiction de vendre des boissons énergisantes aux mineurs réclamée
Des adolescents ont pu acheter sans problème ces breuvages très caféinés et dangereux dans des dépanneurs

Francis Pilon
Des familles implorent le gouvernement de passer de la parole aux actes en interdisant la vente de boissons énergisantes aux mineurs avant qu’une autre tragédie ne survienne.
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« Mon fils et ses amis de 12 ans ont réussi à s’acheter des boissons énergisantes en cachette de nous, leurs parents. Je n’en revenais pas. Pour moi, c’est comme vendre de l’alcool ou des cigarettes à des enfants », lance Karolyne Leclerc. Elle et son conjoint, Dany Langevin, de la région de Shawinigan, ne sont pas près d’oublier l’état dans lequel leur fils est revenu à la maison la semaine dernière, après qu’il eut consommé une canette de Monster Energy, qui contient 150 milligrammes de caféine.

« Il est arrivé chez nous comme s’il était vraiment stressé. Ses mains shakaient beaucoup. Il n’était clairement pas dans son état normal. Il nous disait que son cœur battait vite et qu’il voulait vomir. C’est pas normal à 12 ans de vivre ça ! » raconte douloureusement Mme Leclerc. Le couple a ensuite été étonné d’apprendre qu’aucune loi au Québec n’interdisait la vente de boissons énergisantes aux mineurs.
« On n’en revient pas que nos politiciens ne fassent rien et qu’on parle de ça depuis des années. C’est dangereux. Pourquoi on n’a pas fait une loi qui régit ça ? Je suis éducatrice dans une école et de savoir que c’est accessible aux jeunes, ça m’inquiète beaucoup », insiste Mme Leclerc.
Une Pétition
Devant l’inaction de l’Assemblée nationale, cette famille de la Mauricie a lancé une pétition visant à interdire la vente de boissons énergisantes aux moins de 16 ans.
M. Langevin et Mme Leclerc souhaitent ainsi sensibiliser les Québécois à leur bataille. Ils veulent aussi éviter un autre drame tel que celui de Maxime Plourde, mort en 2013 après avoir consommé plusieurs boissons énergisantes, lui qui avait une malformation cardiaque.
Le jeune homme de 24 ans, qui résidait lui aussi à Shawinigan, en Mauricie, était un sportif reconnu.
Déjà, à l’époque, des pétitions circulaient pour interdire la vente libre de ces breuvages.
Restriction
Au Québec, seule l’entreprise Couche-Tard s’est vantée, en 2019, de « restreindre » la vente de boissons énergisantes aux 16 ans et plus.

Le Journal a donc demandé à trois mineurs âgés de 10, 12 et 14 ans de vérifier si cette règle était toujours appliquée dans ces dépanneurs. Fait étonnant : nos trois jeunes ont réussi à se procurer, sans être questionnés, une boisson énergisante dans des Couche-Tard et un Olco de Shawinigan, de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, dans les Laurentides, et de Québec.


« Puisque la loi permet la vente de boissons énergisantes aux mineurs, nous ne pouvons refuser de leur vendre ces produits à travers la vérification des preuves d’âge. Nous nous en remettons ainsi au bon jugement des consommateurs et de leurs parents », admet la porte-parole de l’entreprise, Jennifer Vincent, qui refuse de dire pourquoi la règle a été abandonnée.

Faute à la pandémie
Au cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, on assure « vouloir réguler la vente de boissons énergisantes aux mineurs ».
« Or, la pandémie de la COVID-19 a frappé le Québec. Comme la Santé publique a été au cœur de la gestion de cette crise, il est tout à fait compréhensible que les travaux concernant la vente de boissons énergisantes aient été retardés », explique-t-on.
♦ Santé Canada conseille aux adultes de limiter leur apport quotidien de caféine à 400 mg. Or, une seule canette de boisson énergisante en contient de 50 à 350 mg.
Quatre décès depuis 2018
Le Bureau du coroner du Québec a révélé au Journal qu’au moins quatre jeunes adultes sont morts chez nous, depuis 2018, pour des raisons liées à leur consommation de boissons énergisantes.
UN BRUIT ANNONÇANT SA MORT
LAURA CARON
21 ans, Beaumont (Chaudière-Appalaches) , 5 avril 2020
Pendant qu’ils préparaient le souper, ses parents ont entendu un bruit sourd venant de sa chambre. Ils ont ensuite retrouvé leur fille inanimée sur le sol.
« Il y a un fouillis d’objets de toutes sortes, plusieurs bouteilles de boisson forte et beaucoup de canettes de boisson énergisante », note le coroner, qui précise aussi que la jeune fille souffrait probablement d’anorexie en raison de son poids.
Conclusion ? Elle était une adepte des boissons énergisantes, ce qui aurait notamment causé un arrêt cardiorespiratoire.
IL CHUTE DANS LA DOUCHE
MARIO ROY
31 ans, Sherbrooke (Estrie), 15 juillet 2020
Le trentenaire était chez des amis lorsqu’il a eu des picotements à la poitrine. Ses proches lui ont conseillé de prendre une douche, lors de laquelle il a chuté. Un homme l’a ensuite retrouvé inanimé dans la salle de bain.
« Il est décédé d’une insuffisance cardiaque dans un contexte de consommation de drogue et de boisson énergisante », conclut la coroner dans son rapport.
UN MÉLANGE FATAL
VALÉRIE GERVAIS
38 ans, Montréal, 29 novembre 2019
Elle a fait la fête avec un proche ; tous deux ont mélangé alcool et boissons énergisantes. Le lendemain matin, son compagnon l’a retrouvée inconsciente et couchée sur le ventre.
La coroner note qu’elle avait une dépendance à l’alcool et aux boissons énergisantes. La femme possédait aussi un historique de consommation de drogue. Conclusion ? Elle est morte d’une « intoxication ».
GELÉ DANS SON VÉHICULE
MARC-ANDRÉ DÉSILETS
26 ans, Saint-Colomban (Laurentides), 21 janvier 2019
En revenant du travail, sa femme l’a vu dans son véhicule : son corps était gelé et inanimé.
Selon le coroner, le jeune homme est fort probablement décédé d’une arythmie cardiaque due à plusieurs circonstances, dont le stress, la consommation de boissons énergisantes et la consommation de boissons alcoolisées.
Des inquiétudes pour la santé des mineurs
Des spécialistes et des parents s’inquiètent pour les mineurs qui achètent, dans les commerces du Québec, des boissons énergisantes jugées « dangereuses » pour leur santé.
« Je pense qu’il faut en interdire la vente aux jeunes. Quand on regarde la littérature scientifique et les nombreux avis, je ne crois pas qu’un seul pédiatre recommanderait à un jeune de boire ça », affirme la Dre Marie-Josée Raboisson, cardiologue au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine de Montréal.

Elle assure que le nombre de jeunes qui la consultent en lien avec la consommation de tels breuvages est continuellement en hausse.
1 patient sur 10
« Au moins un patient sur 10 ou sur 15 me parle des boissons énergisantes et de leur santé. Ça veut dire que les jeunes sont vraiment exposés à ces produits. Souvent, ils veulent avoir une super potion magique pour performer en sport ou à l’école », constate la cardiologue.
La Dre Raboisson met toutefois les jeunes en garde contre ce piège et critique du même coup l’industrie, qui tente de banaliser ses produits.
« Les études montrent bien que la caféine ne change pas grand-chose pour la performance sportive. S’ils veulent de meilleures notes, par exemple, rien n’est mieux que l’exercice, le sommeil, bien manger et faire des efforts. Mais ça, c’est moins vendeur ! » mentionne avec ironie la Dre Raboisson.
La spécialiste rappelle que les vendeurs de boissons énergisantes ne sont pas là pour s’occuper de la santé des enfants, mais plutôt pour maximiser leurs profits.
« Les jeunes ne sont pas nécessairement renseignés sur les dangers liés à ces produits. [...] Comme avec une drogue, il peut y avoir une dépendance qui se développe aussi », prévient-elle.
De plus, la cardiologue souligne que les boissons énergisantes sont très sucrées et peuvent mener à des problèmes d’embonpoint.
Urgence d’agir
La directrice de la Coalition Poids, Corinne Voyer, affirme que plusieurs familles québécoises s’inquiètent de la vente libre des boissons énergisantes et demandent des actions du gouvernement.

« Il est temps d’agir, surtout avec la saison estivale qui s’en vient. Avec le retour des événements et des festivals après la pandémie, ce sont souvent des boissons qui sont offertes gratuitement aux jeunes », soutient Mme Voyer.
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