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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Bilan 2024: explosion des coûts des projets informatiques au gouvernement du Québec

«On vogue à vue», déplore un expert de la transformation numérique

Photo Agence QMI, Joël Lemay
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Gabriel Côté

2024-12-23T05:00:00Z
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Cinq projets informatiques du gouvernement ont à eux seuls occasionné des dépassements de coûts totalisant plus de 400 millions de dollars, et tout indique que l'hémorragie va se poursuivre en 2025.

Encore des problèmes pour SAAQclic

Permis de conduire suspendus sans raison, prélèvements d’argent par erreur, défaillance des systèmes informatiques: les problèmes occasionnés par le déploiement catastrophique de SAAQclic ont continué de s’accumuler cette année.

Photo d'archives, Agence QMI (Joël Lemay)
Photo d'archives, Agence QMI (Joël Lemay)

La facture de ce projet numérique, qui avoisine aujourd’hui les 612 M$, s’alourdit de plus en plus à mesure que le temps passe: la Société de l’assurance automobile a autorisé, l’été dernier, des dépenses de 39,1 M$ supplémentaires pour des services en technologie de ’information, la formation des équipes et des droits de licence.

C’est sans compter que le gouvernement a dû payer 48,6 M$ pour remplacer tous les serveurs et «éviter des bris de service», comme la panne majeure qui a paralysé SAAQclic un matin du mois de mai.

La transition vers Santé Québec coûte un bras

L’année 2024 nous a également confirmé que sortir de l’ère du fax dans le réseau de la santé n’est pas une mince opération.

Avant même son implantation, le projet pilote pour numériser le réseau de la santé a vu sa facture gonfler de 42 M$, comme le rapportait Le Journal au printemps.

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Photo STEVENS LEBLANC
Photo STEVENS LEBLANC

Et nous ne sommes pas au bout de nos peines. La transition vers Santé Québec s’avère elle aussi très onéreuse, alors que le rapatriement des données administratives des divers établissements du réseau coûtera 430 M$, soit 228 M$ de plus que ce qui était initialement prévu.

En plus des dépassements de coûts, tous ces projets connaissent d’importants retards.

Explosion des coûts pour le nouveau réseau internet du gouvernement

La mise en œuvre du nouveau réseau de télécommunication du gouvernement fut une véritable boîte à surprise en 2024.

À la base, remplacer le réseau internet de l’État québécois ne devait coûter que 8,2 M$. Mais après de multiples augmentations de budget, notamment en raison de retards de Bell dans la réalisation des travaux, la facture atteint désormais 46,9 M$, une hausse de 472%.

Et cela n’inclut pas les 190 M$ qui sont nécessaires pour maintenir l’ancien réseau pendant la transition, et les 32,8 M$ qui serviront à brancher les ministères et les organismes sur le nouveau réseau.

Des millions engloutis dans le Panier bleu pour rien

Dieu ait son âme, le Panier Bleu repose en paix depuis la fin du mois de février. C’est que la plateforme québécoise de vente en ligne ne générait pas suffisamment de revenus.

Le premier ministre François Legault avec le ministre de l’Économie de l'époque Pierre Fitzgibbon lors du lancement du Panier bleu en avril 2020.
Le premier ministre François Legault avec le ministre de l’Économie de l'époque Pierre Fitzgibbon lors du lancement du Panier bleu en avril 2020. Photo d’archives, Didier Debusschere

L’aventure aura donc duré quatre petites années. Lancé par le gouvernement Legault en avril 2020 sous la forme d’un organisme à but non lucratif, le Panier Bleu est passé aux mains du privé en juin 2022, en devenant la propriété de la plateforme Agora Inc.

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Cette société privée comptait parmi ses actionnaires Desjardins, la Fonds de solidarité FTQ, l’entreprise Lightspeed et Investissement Québec. a version «transactionnelle» du site a coûté 22 M$. Comme OBNL, le Panier Bleu avait reçu 4,4 M$ en subventions de la part de Québec.

Pas facile, faire un nouveau site web

Les amateurs de plein air doivent s’équiper d’une boussole et de beaucoup de patience pour effectuer des recherches et des transactions sur le site internet de la Sépaq, et ce, depuis plusieurs années.

Capture d'écran LCN
Capture d'écran LCN

Fort heureusement, la société d’État travaille sur un nouveau site web, mais celui-ci sera finalement livré avec deux ans de retards et des coûts 45% plus élevés que prévu.

Ce projet informatique devait être terminé à l’été 2023, mais il ne le sera qu'en... 2026! La facture atteindra alors 3,4 M$, soit près de 1,1 M$ de plus que le budget initial.

Le coûts des projets est généralement sous-évalué, selon un expert

Le gouvernement Legault devrait mieux faire ses devoirs pour éviter de répéter des erreurs dispendieuses pour les contribuables dans le déploiement de ses projets de transformation numérique, plaide un expert, alors que le coût des projets informatiques du gouvernement est bien souvent «sous-évalué».

«Tant qu’on n’a pas une évaluation après coup et qu’on n’est pas capable de dire en toute transparence les impacts qu’on a eus avec un projet, on n’est pas non plus capable de s’améliorer», lance Justin Lawarée, professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique, en entrevue avec Le Journal.

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«Si on ne génère pas de la connaissance avec ce qui a dérapé, on risque de refaire les mêmes erreurs. Ça, pour le moment, on ne le fait pas, alors on vogue à vue», renchérit-il.

Mauvaise gestion

Or, de nombreux projets informatiques du gouvernement ont souffert d’importants dépassements de coûts en 2024, entraînant des dépenses imprévues de plusieurs centaines de millions de dollars (voir autre texte).

Pour M. Lawarée, ces augmentations sont dues, au moins en partie, à des problèmes de mauvaise gestion.

Justin Lawarée est professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique.
Justin Lawarée est professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique.

«Quand un projet passe par exemple de 50 M$ à 200 M$, soit il y a eu de la mauvaise gestion ou une mauvaise analyse de l’infrastructure, ou encore on ne s’est pas rendu compte de l’ampleur de la dimension organisationnelle qu’il représentait. Les projets informatiques, ce ne sont pas juste des logiciels, il faut aussi prendre en compte la gestion du changement, la formation des employés, etc.», explique-t-il.

D’autres augmentations en 2025?

Par ailleurs, le professeur Lawarée s’attend à ce que les projets de transformation numérique du gouvernement soient encore confrontés à des hausses de coût en 2025.

«Logiquement, oui», a-t-il laissé tomber. «S’il y a des projets, ça va être inévitable».

Mais M. Lawarée croit également que «beaucoup de projets vont passer à la trappe», puisque les budgets en matière de technologie de l’information ont été réduits dans plusieurs ministères. «Nous sommes dans un contexte budgétaire qui est rigoureux, voire austère», affirme-t-il.

En attendant, l’expert rappelle que le budget initial des projets informatiques a tendance à être sous-évalué. «C’est en partie parce qu’on ne peut pas tout prévoir d’avance. Ça arrive régulièrement que la portée d’un projet change en cours de route, et ça se traduit par une révision des budgets et des échéanciers», dit-il. 

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