Bienvenue à l’ère Carney


Josée Legault
Après la décennie Trudeau, l’ère Carney débute dans une dynamique politique et économique beaucoup plus périlleuse. À l’aube d’un exceptionnel quatrième mandat au pouvoir pour les libéraux, Mark Carney réussit néanmoins à marquer un nouveau départ.
Avec son premier «vrai» Conseil des ministres, dont plusieurs nouveaux visages, il délimite son propre carré de sable. L’ère Carney, pour les prochaines années, reposera ainsi sur trois piliers principaux.
1) La tempête Trump. Même si les rapports du nouveau premier ministre avec le président américain sont plus apaisés qu’avec Justin Trudeau, les menaces de guerre commerciale obligent Mark Carney à s’entourer de valeurs sûres.
On parle de Dominic LeBlanc au Commerce Canada–États-Unis. François-Philippe Champagne aux Finances. Mélanie Joly passe à l’Industrie et Anita Anand lui succède aux Affaires étrangères.
Ils devront transiger avec la Maison-Blanche tout en diversifiant rapidement les marchés du Canada et ses relations avec des alliés européens plus fiables.
2) Gouverner le pays. En plus d’un coût de la vie hors contrôle, des crises sociales majeures sont persistantes. Ses nouveaux ministres Gregor Robertson (Logement) et Marjorie Michel (Santé) sauront-ils mieux soutenir des gouvernements provinciaux eux-mêmes débordés?
3) L’unité nationale. Les menaces de Trump et la vague sans précédent de patriotisme qu’elles ont nourrie permettent à Mark Carney d’ouvrir une nouvelle phase d’édification nationale ou de nation building.
Le véritable projet politique du premier ministre, il est peut-être là.
Unité nationale fragilisée
D’où son choix de Steven Guilbeault aux Langues officielles et à l’Identité et Culture canadiennes, Tim Hodgson à l’Énergie, Lena Metlege Diab à l’Immigration et Dominic LeBlanc, responsable aussi de l’Unité de l’économie canadienne.
Leurs dossiers combinés s’adressent particulièrement aux deux fronts les plus fragiles sur le plan de l’unité nationale. Le premier est l’Alberta et la Saskatchewan. On n’y décolère pas de la victoire des libéraux tout en exigeant de nouveaux oléoducs au plus vite.
Le second front est le Québec. Si le Parti Québécois prend le pouvoir en 2026, il tiendrait possiblement un référendum sur la souveraineté. Ce serait le premier en plus de trente ans.
Des voies ensoleillées aux voies embusquées
D’ici là, Mark Carney tentera-t-il de convaincre les nationalistes que le pouvoir politique du Québec et la langue française, au lieu de continuer à s’effriter, pourraient être renforcés au sein du Canada?
Dans un contexte aussi incertain, les belles paroles ne suffiront pas.
Pour mieux comprendre les orientations plus détaillées du premier ministre – sa vision, quoi –, il faudra cependant attendre le discours du trône livré le 27 mai par le roi Charles III.
Pour le moment, ses choix de ministres montrent toutefois que le style de leadership de l’ex-banquier Mark Carney s’annonce plus discipliné, plus cérébral, plus exigeant et plus pressé d’obtenir des résultats concrets.
Il en aura d’ailleurs grand besoin. Le contexte national, continental et mondial de 2025 n’est vraiment plus celui des «voies ensoleillées» promises en 2015 par Justin Trudeau.
Aux prises avec Trump, une économie menacée, une population inquiète et une unité nationale fragilisée malgré la vague de patriotisme, on peut dire que Mark Carney hérite d’un tout autre monde. Celui des voies embusquées...