Lutte NSPW: Benjamin Tull, le méchant champion qui vend des croissants


Stéphane Cadorette
La NSPW est la fédération de lutte qui connaît le plus de succès au Québec. Ce samedi 15 juin, elle présentera son gala phare, Golden Opportunity XIV, au Pavillon Guy-Lafleur, à Québec. Derrière les lutteurs excentriques dans le ring se cachent des personnalités plus effacées dans la vie de tous les jours, qui doivent jongler entre leur métier souvent prenant, leur famille et leur passion pour la lutte. Le Journal vous invite à découvrir la véritable vie de ces athlètes hors norme.
Quand le détestable champion de la NSPW, Benjamin Tull, sautera dans l’arène samedi soir, il se permettra tous les coups salauds pour défendre son titre. Les six autres jours de la semaine, il est plutôt le bon père de famille qui exploite une boulangerie commerciale spécialisée dans la vente de viennoiseries dans différents commerces.
Les cafés, les hôtels et les restaurants de Montréal ne s’en doutent peut-être pas, mais leur fournisseur prendra un malin plaisir à balancer ses adversaires Pee Wee et Travis Toxic à travers des tables, à leur asséner des coups de chaise ou à les propulser en bas d’échelles devant plus de 2000 personnes, lors du plus gros spectacle de l’histoire de la NSPW, au pavillon Guy-Lafleur.
Ce combat de championnat dans un spécial tables, échelles et chaises n’est qu’une facette de la vie bien remplie de l’entrepreneur qui a fondé une compagnie qui compte aujourd’hui 15 employés.
Cette gymnastique entre deux mondes diamétralement opposés implique aussi un clan tissé serré avec sa conjointe ainsi que ses deux filles de 4 et 7 ans, en plus d’une autre en chemin.
«Ça finit toujours par se savoir que je lutte. Je ne le cache pas, même si ce n’est pas la première chose que je mets de l’avant. Je joue les méchants, donc les gens ne viennent pas vers moi naturellement, surtout que dans la vie je ne suis pas facile d’approche. Je suis un peu bête, un peu bougon. C’est un peu pour ça que je fonctionne bien comme méchant», sourit Tull en entrevue avec Le Journal.

Pas toujours évident
Le costaud détenteur du titre des poids lourds approche de la quarantaine et même s’il peut être difficile de partager son temps entre sa passion et son travail, il ne voit pas encore le jour où il rangera ses bottes.
«Il y a des jours où je trouve ça vraiment lourd, mais je suis chanceux parce que mon entreprise est rendue à un point dans son cycle de vie où tous mes pions sont installés. Je suis plus libre que je l’étais il y a plusieurs années, même si je suis toujours sur le téléphone à régler des problèmes. La lutte, ça reste dans mon ADN», dit-il.
Pourtant, rien ne semblait le destiner à un rôle dans le divertissement sportif. Même s’il se gavait déjà de lutte plus jeune, il a dû convaincre ses parents de l’inscrire à des cours lorsqu’il a flairé une aubaine.
«Je n’étais pas un enfant très sportif au sens où je n’avais pas vraiment l’esprit de compétition. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait que je n’aime pas l’autre équipe. Je voulais plutôt être acteur, mais je trouvais ça inaccessible. La lutte rejoignait de quoi de ludique et il y a une grosse partie spectacle. J’en parlais à mes parents, mais ils ne me trouvaient pas que j’avais le profil sportif ou bagarreur», raconte celui qui les a finalement eus à l’usure.

Pour en faire son gagne-pain au Québec, toutefois, on repassera. Même si la NSPW se porte bien, Tull a vite compris qu’il valait mieux s’accrocher à son emploi de jour.
«Tu peux vivre de la lutte au Québec si tu acceptes de vivre sur la route et que ça ne te dérange pas d’avoir un petit loyer pas meublé parce que tu n’es jamais chez vous. Pour moi, le confort a toujours été important et je veux bien gagner ma vie. Je ne pourrais pas vivre la vie que je vis seulement avec des bookings de lutte.»
Un titre qui vient avec des responsabilités

Dans le monde de la lutte professionnelle, être l’élu d’une fédération pour porter un championnat se veut l’honneur ultime, mais ce rôle s’accompagne d’une pression additionnelle.
«Ça devient un travail de représenter la compagnie parce que c’est supposé être toi le big shot», s’exprime Tull.
Bien sûr que le scénario est préparé, mais la ceinture lui est donnée pour souligner son talent entre les câbles et au micro. Le champion originaire de Saint-Hubert a vécu les années de vaches maigres de la lutte québécoise au tournant des années 2000 et il est pleinement conscient de la vitrine qu’il obtient maintenant que son sport jouit d’une vague de popularité.
Rien pour rivaliser avec les belles années de la Lutte Grand Prix ou de Lutte internationale il y a quelques décennies, mais quand même...
«Quand tu as toute cette attention du public, tu dois lui montrer que cette attention-là est méritée. J’ai travaillé fort pour en arriver là et maintenant que la lutte connaît du succès, je veux tout faire pour l’entretenir. On a tous le même but et c’est là que je trouve le plaisir de continuer.
«La lutte a été tellement importante au Québec pendant des décennies que je n’ai jamais compris pourquoi c’était aussi mort quand j’ai commencé. Ça fait partie de notre patrimoine», fait-il valoir.
Maintenant qu’il est au sommet, Tull sait aussi que tout peut finir du jour au lendemain.
«Je me sens bien dans le ring malgré les bobos accumulés. Je ne veux pas raccrocher, mais quand je vais ralentir le groupe ou que l’intérêt du public ne sera plus là, il faudra que je trouve l’humilité de tout arrêter.»