Bébé de Longueuil: cette misère qui nous éclate au visage
Sa mort, toute la société doit l’avoir sur la conscience


Emmanuelle Latraverse
Le drame de la fillette de Granby a frappé les Québécois en plein cœur. L’indignation collective face à l’horreur qu’a subie la pauvre enfant a forcé la mise en place de la commission Laurent, puis une refonte de la DPJ.
Le bébé de Longueuil ne mérite rien de moins.
Et pourtant, l’affaire est traitée comme un autre tragique fait divers, un autre symptôme d’une détresse qu’on préférerait ne pas voir. Cette itinérance mêlée à une déchéance totale de concert avec la toxicomanie ou des problèmes de santé mentale ou les deux.
Mais le malaise ne devrait pas nous détourner de l’essentiel: comment au Québec peut-on tolérer qu’un nouveau-né soit abandonné dans un abribus pour mourir de froid?
Fermez les yeux deux secondes et pensez-y.
Sa mort, toute la société doit l’avoir sur la conscience.
Trop complexe
Le nouveau visage de l’itinérance, on en parle depuis au moins cinq ans.
On s’accroche aux explications simplistes: la crise du logement, le fentanyl. On se dédouane avec les mêmes refrains usés: c’est complexe, il manque de ressources.
Finalement, on laisse à des missionnaires de la cause sociale le fardeau d’affronter cette tragédie. On réclame de temps en temps que le gouvernement en fasse plus. On se gargarise sur le coût des roulottes qui seront installées à l’hippodrome.
Certes, on se désole quand un sans-abri meurt de froid l’hiver. On s’indigne quand un enfant attrape une seringue dans un parc. On feint la surprise quand un bébé est abandonné dans des couvertures devant une résidence de Longueuil. On s’émeut qu’un autre soit mort de froid dans un abribus.
Mais surtout, on invoque la sécurité publique dans le métro quand nous devons être confrontés à leur misère. On comprend le Complexe Desjardins de faire jouer de la musique à tue-tête dans les escaliers de service pour les faire fuir. On installe de nouveaux systèmes de sécurité dans nos immeubles de bureaux pour éviter que l’un d’entre eux empeste l’entrée en venant s’y réfugier lors des trop froides nuits d’hiver.
Finalement, on envoie le message au gouvernement que la misère humaine, c’est son problème, pas le nôtre.
Se mobiliser
Imaginez si on avait passé autant d’heures à discuter d’itinérance, de toxicomanie, de santé mentale mariée à l’extrême pauvreté qu’on en a passé à parler de la réforme Dubé ou de l’éducation à trois vitesses.
Imaginez si au lieu de se moquer de l’ambition du maire Bruno Marchand de mettre fin à l’itinérance, on en avait fait une priorité.
Cette détresse n’est plus l’apanage des grandes villes. C’est un drame que notre société ne sait plus comment aborder si ce n’est en s’en remettant aux miracles quotidiens de groupes communautaires.
Le gouvernement devrait lancer des États généraux sur l’itinérance pour que le Québec ait le courage de dire haut et fort que la mort d’un bébé naissant dans un abribus est une abomination intolérable.