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L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

Avortement: un jugement digne des Talibans

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Photo portrait de Loïc Tassé

Loïc Tassé

2022-06-25T09:00:00Z
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Le jugement de la Cour suprême des États-Unis fait bien plus que renverser l’universalisme du droit à l’avortement aux États-Unis. Il réaffirme avec force la domination des croyances sur la raison.

Dans plusieurs États américains, l’interdiction de l’avortement pourra en effet commencer dès le moment de la conception et il pourra exclure diverses conditions médicales qui mettent en péril la vie des mères. Il faut aussi noter que la Cour, qui estime redonner le droit de décider aux autorités de chaque État, ne prévoit aucune période de transition pour que les élus puissent changer les lois. La décision est brutale, sans égard pour les femmes.

1 Comment les juges justifient-ils leur décision ?

Comme pour la décision sur les armes à feu de cette semaine, les juges optent pour une interprétation littérale de la Constitution. Pour les six juges de la majorité, la Constitution ne dit rien directement sur l’avortement, donc, la question ne les concerne pas. Selon eux, la Constitution ne dit rien non plus indirectement. Pire, toujours selon eux, la Cour suprême s’est trompée dans un jugement précédent.

2 Quels sont les problèmes juridiques de la décision ?

Pour la première fois de son histoire, la Cour ôte un droit qu’elle avait auparavant confirmé : le droit des femmes à l’avortement. Dans un système qui suit la Common Law, une telle invalidation est une hérésie. Entre autres parce qu’elle remet en cause la sagesse des juges de la Cour suprême (dans quels autres jugements les juges de la Cour suprême se sont-ils aussi trompés ?). La supposée logique utilisée par les juges majoritaires dans ce jugement pourrait aussi s’appliquer à d’autres droits. La contraception, par exemple, pourrait être interdite dans plusieurs États. Dans les faits, le jugement accepte que les Américains jouissent de droits de base différents suivant l’État où ils résident.

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3 Quels sont les enjeux religieux de la décision ?

La lutte contre l’avortement, et plus généralement pour contrôler la sexualité des gens, est un des chevaux de bataille des fondamentalistes religieux. Beaucoup de politiciens américains de droite n’ont pas tardé à écrire sur les réseaux sociaux qu’il fallait rendre gloire à Dieu pour cette décision. Donald Trump a d’ailleurs déclaré : « Dieu a pris la décision ».

4 Que révèle ce jugement sur l’évolution de la société américaine ?

Les positions antiavortement des six juges conservateurs ne sont pas partagées par la vaste majorité de la population américaine. Selon le Centre de recherche Pew, 61 % des Américains sont en faveur de l’avortement. Plus les Américains sont jeunes et éduqués, plus ils sont en faveur de l’avortement. Le problème est que les fondamentalistes religieux, ces nouveaux talibans américains, ont trouvé diverses astuces pour contourner l’opinion publique majoritaire et imposer leurs vues religieuses rigoristes. Ils ont opéré un rapprochement avec la sphère politique. Les politiciens américains, toujours en manque d’argent et de bénévoles, trouvent parmi les fondamentalistes religieux un bassin de ressources quasi inépuisables.

5 Que pourrait-il arriver ?

Les juges nommés par les républicains sont des fondamentalistes religieux. Il ne faut pas s’étonner qu’ils rendent des jugements de fondamentalistes religieux, peu importe les déguisements juridiques dont ils affublent leurs décisions. Heureusement, leur décision sur l’avortement mobilise des politiciens tant républicains que démocrates qui veulent maintenant faire adopter une loi fédérale garantissant l’avortement. Mais étant donné les pressions des fondamentalistes religieux, celle-ci, si elle est adoptée, risque de moins protéger les femmes qu’elles ne l’étaient précédemment.

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