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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Avec Riopelle, Robert Lepage se lâche «lousse»

Robert Lepage
Robert Lepage Photo Stevens LeBlanc
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Photo portrait de Guy Fournier

Guy Fournier

2023-05-04T04:00:00Z
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L’exubérance du célèbre metteur en scène donne des tableaux fulgurants dans Le projet Riopelle.

Mais elle nous inflige aussi la plus longue mise en situation qu’il m’ait été donné de voir au théâtre. Présenté chez Duceppe jusqu’au 11 juin, Le projet Riopelle dure quatre heures et demie, entractes compris, mais l’action qui justifie le titre commence vraiment une heure et demie après le début.

L’interminable prologue, qui n’apporte presque rien à notre connaissance de Riopelle, est une espèce de carnet mondain des signataires du Refus global de Paul-Émile Borduas et de ceux que son manifeste a influencés. Ces préliminaires culminent par la lecture qu’en fait Luc Picard sous les traits de Borduas. Dans l’assistance, les plus âgés applaudissent spontanément, trop heureux d’entendre vilipendée l’Église qu’ils ont, eux aussi, jetée par-dessus bord, mais beaucoup plus tard.

Dix à 15 minutes avant le premier entracte, Riopelle rencontre enfin Joan Mitchell qu’incarne Anne-Marie Cadieux avec une vérité saisissante, aussi bien en anglais qu’en français. La pièce que je suis venu voir et qui fera sûrement salle comble à chaque représentation commence enfin. Il était temps ! Par la suite, la mise en scène de Lepage reste éblouissante et les dialogues d’Olivier Kemeid sont plus fluides.

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UN ENCHANTEMENT POUR L’ŒIL

Les deux heures et demie qui suivent sont un tel enchantement pour l’œil qu’elles nous font presque perdre de vue la vie amoureuse toxique du couple. Le projet Riopelle fait une place très généreuse à Joan Mitchell et montre habilement l’influence que les deux grands peintres ont exercée l’un sur l’autre. Mais c’est à partir du retour définitif de Riopelle au Québec que le spectacle se fait le plus émouvant et que le personnage incarné par Luc Picard est le plus attachant.

Lepage et son équipe sont des « patenteux » dont le génie se manifeste à plusieurs occasions dans ce spectacle qui doit beaucoup à la fourmilière qui s’agite en arrière-scène. La construction « presque en plein vol » de l’hydravion de Champlain Charest, devenu l’ami de Riopelle, force l’admiration. Elle déclenche d’ailleurs une ovation immédiate de l’assistance, émerveillée par autant d’ingéniosité. 

Le survol des grands espaces neigeux du nord du Québec est loin d’être un exercice gratuit. Il nous amène aux tableaux les plus emblématiques de Riopelle. Ceux qui nous sont les plus familiers et qui traduisent le mieux les origines de l’artiste qu’on aurait pu croire oubliées après tant d’années de vie à l’étranger.

RIOPELLE ET LE ROCKET

Lepage nous fait cadeau d’autres magnifiques tableaux. Comme celui de la chasse aux oies blanches qui se termine par une « pluie » d’oies sur scène, laissant l’auditoire médusé. Sa présentation de l’immense triptyque que Riopelle a appelé Hommage à Rosa Luxemburg est aussi très évocatrice. L’habitude que Riopelle avait prise avec ce tableau hors norme de peindre à la bombe aérosol donne lieu à la scène la plus amusante de la pièce : une rencontre avec Maurice Richard. 

À la fin de l’entretien, Riopelle, le plus sérieusement du monde, utilise la main du Rocket comme pochoir afin de mettre le point final à un tableau folklorique peint sur une porte qu’il offre à Richard. La scène est d’autant plus drôle qu’en quittant le numéro 9, Riopelle fait allusion à Marcel Duchamp, mais Maurice Richard se méprend et croit que son hôte parle d’Yvon Deschamps !

Malgré mes réserves sur son projet Riopelle, je reste un inconditionnel de Robert Lepage.

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