Avec la loi C-5, Mark Carney pourrait empirer notre fédéralisme déjà bancal

Antoine Robitaille
Notre Dominion est-il vraiment une fédération?
Pas tout à fait, a déjà répondu la constitutionnaliste Andrée Lajoie, qui a beaucoup écrit sur le sujet.
Le «déficit fédéral» y est grand, car la constitution de 1867 donne au gouvernement central de puissants pouvoirs pour contourner, envahir et supplanter les compétences des provinces.
Certains d’entre eux n’ont pas été utilisés depuis longtemps. On les considère même «en désuétude»: le pouvoir d’Ottawa de désavouer une loi d’une province par exemple.
En parallèle, le Canada, dans son évolution, n’a cessé de suivre une «trajectoire centralisatrice» grâce au «pouvoir de dépenser», mais aussi à des décisions de tribunaux favorables au gouvernement central.
En juillet 1976, la Cour suprême du Canada (CSC) conclut que la législation anti-inflation de Trudeau père est constitutionnelle, car Ottawa peut «faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement» (POBG). Même si cela violait le «partage des compétences» inscrit dans la constitution. Plus récemment, la CSC utilisait le même argumentaire pour approuver la taxe carbone de Trudeau fils.
En 2005, Andrée Lajoie écrivait que le Canada n’est «même plus vraiment aujourd’hui une fédération, mais un pays bientôt unitaire où les provinces se comparent de plus en plus à des entités administratives».
Intérêt national
Curieusement, cet aspect du régime n’est jamais dénoncé par ceux qui revendiquent l’étiquette de «fédéralistes». Bien sûr, quand ils veulent gagner des votes, un Pierre Poilievre ou un Pablo Rodriguez jureront la main sur le cœur de «défendre les compétences du Québec». Mais ce serment prend rapidement le bord dans la politique quotidienne.
Ainsi, les élus du Parti conservateur ont approuvé cette semaine le bâillon sur la loi C-5 du gouvernement Carney «sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada». Ils n’excluent pas de voter en faveur.
Or, C-5 est «une loi de pure discrétion fédérale», s’inquiète le constitutionnaliste Jean K. Samson, à qui j’ai parlé cette semaine. Samson a défendu le Québec dans plusieurs causes célèbres devant la CSC. Il souligne que dans le discours politique et dans le texte de la loi, on martèle l’expression «intérêt national» (25 fois dans C-5).
Ottawa possède certains pouvoirs non fédéraux (POBG, «avantage général du Canada», etc.). Il vient, avec C-5, en invoquant l’urgence (comme lors de la COVID), se donner le droit, «s’il est d’avis qu’un projet est dans l’intérêt national», de dresser une liste d’ouvrages qui échapperont aux règles constitutionnelles (partage des pouvoirs) et aux lois du parlement fédéral. Pendant cinq ans.
Mark Carney a beau grimacer ostensiblement lorsque Trump, à ses côtés, dit des âneries, il semble néanmoins inspiré par certains aspects des méthodes du président orange: gouverner par décrets, se foutre des règles fédérales.
Legault applaudit. Poilievre est prêt à bâillonner ses élus. Rodriguez osera-t-il critiquer, d’un point de vue fédéraliste, son parti frère canadien? Pour l’instant, on me répond dans son entourage que C-5 ne doit en aucun temps forcer l’acceptabilité du Québec.
Pourtant, à la lecture du projet de loi, on voit clairement que le gouvernement Carney cherche à se donner le droit d'agir sans le consentement des provinces.