Aux aspirants en médecine qui ont choisi la haine
Collectif de signataires
À vous qui étudiez ou aspirez à étudier la médecine,
À vous qui avez tenu, dans un groupe public, des propos sexistes, racistes, antisémites et haineux visant les femmes, les personnes noires, autochtones, asiatiques, juives, LGBTQ+ et racisées,
Nous écrivons cette lettre.
Ces messages révèlent une idéologie de déshumanisation violente, méprisante, incompatible avec l’éthique, la compassion et l’honneur que requiert la profession médicale. Ils trahissent une vision de la médecine à l’opposé du serment d’Hippocrate.
Nous sommes un collectif de femmes médecins québécoises, issues de diverses origines.
Et aujourd’hui, face à vos paroles toxiques ou à votre silence complice, nous brisons le silence.
Nous sommes les femmes que vous méprisez – et nous soignons la population québécoise avec dignité et avec notre expertise.
Nous sommes des femmes, des professionnelles: compétentes, dévouées, et issues de toutes les origines. Nous avons étudié pendant plus d’une décennie.
Nous travaillons jour et nuit dans un système de santé souvent au bord de la rupture. Et pourtant, nous persistons – avec passion, avec rigueur. Parce que nous croyons profondément en une médecine humaine, fondée sur le devoir de soin, la justice, et la dignité de chaque patient.
C’est donc avec colère et tristesse que nous avons pris connaissance des propos violents, misogynes, homophobes et racistes tenus récemment par des aspirants en médecine dans un groupe de discussion en ligne. Des propos abjects, et les personnes qui les tiennent – disons-le clairement – n’ont aucune place en médecine. Voici quelques exemples:
«Je comprends pas les femmes qui prennent la place des hommes en médecine.»
«De toute façon, la majorité d’entre elles finit femme au foyer.»
«Le déclin de la société a commencé quand on a donné des droits aux femmes. Non, aux Juifs...»
«Si ma chirurgie est menée par une femme, je change de chirurgien.»
«Je fais pas confiance à une femme médecin. Elle va cramper à cause de ses règles.»
«Imagine une femme sous antidépresseurs et Ritalin qui gère ta chirurgie... Elle va vomir en pleine opération parce que c’est “trop stressant”.»
Ces phrases ne sont pas des dérapages isolés. Elles révèlent un mépris fondamental envers celles et ceux qui consacrent leur vie à soigner. Elles trahissent une vision archaïque, dangereuse et profondément injuste de la médecine – à l’opposé de tout ce que nous défendons.
Et puisque vous semblez douter de nos compétences, parlons de faits. Les études démontrent que les patients opérés par des chirurgiennes ont moins de complications et de meilleures issues postopératoires. Notre place, nous l’avons gagnée – par la compétence, le dévouement et la rigueur.
Ce qui nous a bouleversées, ce n’est pas seulement la haine brute. C’est le silence. Total. Complice.
L’un des messages les plus abjects évoquait une scène d’entrevue où Anne Frank se cache dans le grenier d’un voisin. Un commandant SS frappe à la porte. «Que faites-vous?» Réponse: «Gazez le rat dans le grenier au plus vite.» Et rien. Pas un mot. Pas une dénonciation. Pas une voix pour dire: non. Ce silence-là est un choix. Et il est dangereux.
Être médecin, ce n’est pas seulement soigner un corps. C’est défendre la dignité humaine. Être une voix quand d’autres se taisent. Être un rempart.
C’est cela qu’a incarné la Dre Irma Levasseur, première femme médecin francophone du Québec, fondatrice de l’Hôpital Sainte-Justine, à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de voter, encore moins de pratiquer la médecine.
C’est ce qu’a incarné la Dre Isabelle Gaston, qui a dénoncé les erreurs médicales et plaidé pour une médecine plus éthique et plus transparente.
C’est ce qu’a porté la Dre Nadine Caron, première femme autochtone chirurgienne au pays, qui a utilisé sa voix pour défendre sa communauté.
Et c’est ce que nous, femmes médecins du Québec, continuerons de faire.
Chaque jour, nous franchissons les portes des hôpitaux avec une seule mission: offrir des soins adaptés, humains, respectueux – peu importe l’origine, la langue, la foi ou le genre de nos patients.
Nous exigeons de nos futurs collègues la même décence, le même engagement.
Les jours où la médecine était réservée à une élite masculine sont révolus.
Le serment d’Hippocrate n’est pas un rite creux: c’est un engagement moral.
Et ceux qui entrent en médecine avec de tels préjugés n’y ont pas leur place.
Ils sont un danger, non seulement pour nos patients, mais pour la société tout entière.
À ceux et celles qui nous ont méprisées, nous disons ceci:
Nous sommes les femmes que vous avez voulu rabaisser.
Et nous continuerons à soigner. À enseigner. À inspirer.
Parce que cette profession est plus grande que votre haine.
Parce que le Québec mérite mieux que votre mépris.
Dre Karine Toledano et plus de 200 autres signataires