«Aussi bien fermer boutique»: des commerçants «laissés à eux-mêmes» face aux nouvelles règles d’emballage en français

Amanda Moisan
Dès aujourd’hui, avec la loi 96, les commerçants québécois doivent afficher le français de façon prédominante sur leurs enseignes et leurs emballages. Certains entrepreneurs, désemparés, peinent à trouver la voie à suivre. Le gouvernement, de son côté, n’entend pas réviser ses exigences.
«Les détaillants ont besoin d’aide. Ça nous arrive comme une brique sur la tête. Je me sens vraiment comme s’ils veulent qu’on leur donne nos clés», lance Sara Côté, présidente-directrice générale de La Grande Ménagerie & L’Animatout, une animalerie spécialisée de Sherbrooke.

Elle estime qu’environ 80% de ses produits ne respectent plus les règles parce que le français n’est pas assez visible sur leur emballage bilingue. La nouvelle loi impose une prédominance claire du français sur chaque produit.
Un produit sur lequel il y a des explications en français et en anglais n’est plus approprié depuis dimanche, car le français n’est pas en prédominance.

C’est lors d’une visite d’inspecteur au mois de mars dernier que Mme Côté a appris les nouvelles dispositions de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, communément appelée «loi 96».
«On a commencé à paniquer, parce que c’est vraiment plus gros qu’on l’avait saisi au départ», mentionne-t-elle.
Face aux refus de certains fournisseurs de produire des étiquettes qui répondent aux nouveaux critères, Mme Côté devra donc créer et coller elle-même des autocollants sur chacun de ses produits, comme tous les autres commerçants de la province, si elle souhaite les conserver sur ses tablettes. Des changements qui lui coûteront «des milliers de dollars».
«C’est énormément de temps, d’argent et de ressources humaines», dénonce la femme d’affaires.
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Les géants du web avantagés?
Mme Côté craint de devoir retirer plusieurs produits spécialisés, ce qui l’empêcherait de rivaliser avec les géants du web.
«Ça va donner beaucoup moins de disponibilités aux clients et ça va donner un gros avantage à Amazon, à Temu. Ils vont encore plus avoir le dessus, mentionne la PDG. Au lieu de nous aider, on nous rajoute des bâtons dans les roues.»
Manque de clarté
Le fondateur des magasins Imaginaire, de la région de Québec, nage dans l’incompréhension depuis l’annonce des nouvelles règles. Il redoute de ne plus pouvoir vendre des produits anglophones dans ses magasins de timbres et monnaies, de livres, de cartes et de jeux de société.
«Des jeux de société ou des livres anglophones, par exemple, je n’ai pas les droits de créer une version en français. Ces produits-là ne m’appartiennent pas. Je ne peux pas m’arranger», affirme Benoît Doyon.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) dénonce le manque d’accompagnement de la part du gouvernement.
«Si l’entreprise veut être capable de mettre la réglementation en place, il faut qu’elle sache qu’est-ce qui est touché, qu’est-ce qui n’est pas visé. Il y a un manque de clarté flagrant de la part du gouvernement du Québec», soutient François Vincent, vice-président de la FCEI au Québec.

«On veut éviter que des entrepreneurs qui n’ont juste pas eu le temps de mettre en place la réglementation, qui ne l’ont pas comprise et qui ont besoin d’aide reçoivent des amendes», soutient-il.
L’Office québécois de la langue française répond qu’une entreprise peut vendre un jeu dans une autre langue si la version française est également vendue. Il ajoute avoir prévu une «période transitoire» jusqu’au 1er juin 2027 pour permettre aux entreprises de se conformer.
«On va avoir une période de tolérance pour des commerces qui ne seraient pas conformes en ce moment, mais qui sont en voie d’être conformes. Ce qu’on veut, ce n’est pas de donner des amendes, c’est d’accompagner les entreprises», a mentionné Jean-François Roberge, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
Un manquement à la Charte de la langue française peut d’ailleurs mener à une amende de 700$ à 7000$ à une personne physique ou à une amende de 3000$ à 30 000$ dans les autres cas.