Au temps de la lutte finale

Josée Boileau
Une plongée poignante dans une période méconnue de l’histoire du Québec, celle de militants qui rêvaient de révolution. Mais au quotidien, l’égalité avait sa part d’ombre.
Les personnages d’Une autre vie est possible, d’Olga Duhamel-Noyer sonnent vrais parce qu’ils ont existé. Ils étaient jeunes, scolarisés, dynamiques et convaincus que des lendemains meilleurs étaient à portée de mains.
Ainsi étaient les années 1970, époque où ce genre d’utopie pouvait avoir cours. Manifester, c’était aussi rêver.
Duhamel-Noyer nous le fait voir à travers les yeux d’un enfant, Valéry. Sa mère Micheline est chef de cellule communiste : les réunions de son groupe tout comme les fêtes se passent chez elle, rue Bloomfield à Montréal. Sans oublier les visiteurs à héberger. La vie n’a vraiment rien de banal.
Mais une fois les camarades rentrés, quand on y regarde de plus près, la vie n’est pas un conte de fées. Micheline le constate quand elle décide de mettre un terme à ses amours avec José, un Colombien ardent.
Elle l’a rencontré alors qu’elle participait en Colombie à un congrès de philosophie — qu’elle enseigne. Elle rentre avec lui et l’installe chez elle. Mais deux ans plus tard, le souffle de l’amour est passé. « On n’appartient jamais à personne », explique la femme libre qu’est Micheline à son fils, fâché de la séparation qu’elle lui annonce.
José, lui, ne l’accepte pas. Il s’accroche, avec une insistance de plus en plus violente.
Autour de Micheline, d’autres couples vivent des tensions. Dans ces années-là, il est bien plus facile de prêcher l’égalité des peuples et des ouvriers sur la place publique que de vivre l’égalité dans son logis.
Un regard photographique
Olga Duhamel-Noyer démontre cette tension avec grande justesse et surtout une admirable sobriété.
C’est d’ailleurs la marque de commerce de cette écrivaine de talent, qui signe ici son quatrième roman. Pas d’esbroufe, pas de dialogue, des phrases nettes, un regard photographique.
La description de la salle à manger de Micheline en témoigne. Du macramé est suspendu au plafond, des abat-jour de laine recouvrent les lampes, des noix traînent dans un bol sur la table. « Un artisanat bigarré égaie l’appartement. » Ceux qui ont connu l’époque reconnaîtront tout du décor.
La même minutie préside aux portraits des camarades ou des révoltes qui éclatent dans différents pays. Comme un cours en accéléré de ce que fut l’extrême gauche avant la chute de l’URSS.
Oui, il y a eu cette bulle militante, un « univers chaleureux, protégé, baigné de solidarité, d’espoir en l’avenir ». Le bonheur — surtout pour un enfant. L’auteure le rappelle avec tendresse, sans moquerie. Les adultes devaient toutefois fermer les yeux sur les fissures : les ouvrières du textile pas intéressées par le journal Combat que leur tendent les militants ; la méfiance du Parti communiste envers les homosexuels ; le tabou de la violence conjugale.
Donc, la bulle éclatera. Et les luttes changeront : après tout, vouloir la paix au quotidien est aussi une autre vie possible.