Après l’avortement, les droits des trans comme arme partisane
Les droits des trans sur le point de s’imposer comme enjeu identitaire de l’heure


Emmanuelle Latraverse
La peur est une arme redoutable en politique.
La peur de «vos pensions» pour contrer la souveraineté. La peur d’être ruiné par un cancer pour contrer le privé en santé. La peur d’un autre Tchernobyl pour freiner le nucléaire.
Chaque époque amène son nouvel épouvantail, sauf au fédéral.
Depuis plus de 20 ans, les libéraux en ont une belle à sortir de leur poche arrière à chaque élection: la criminalisation de l’avortement par les conservateurs et leur frange pro-vie.
Faut-il rappeler l’effondrement d’Andrew Scheer sur la question lors du Face-à-Face de 2019?
Or l’avortement ne collera pas à la peau d’un Pierre Poilievre ouvertement pro-choix, sans détour, sans malaise.
Préparez-vous donc à un nouveau front identitaire dans le paysage politique: les droits des enfants trans.
Le monde à l’envers
L’enjeu qui touche pourtant une infime portion de la population est déjà devenu l’ultime paratonnerre politique aux États-Unis.
Le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, en a même fait sa marque de commerce dans ses croisades contre Disney, les écoles, les bibliothèques.
Les républicains raffolent de cet enjeu, dont ils font un symbole de la banqueroute morale de notre société.
Sauf qu’ici au pays, Pierre Poilievre garde ses distances. Il s’est prononcé en faveur des droits des parents du bout des lèvres, dans un évènement de la communauté pakistanaise, sans plus.
La politique identitaire n’est pas sa tasse de thé. La démonisation économique de Justin Trudeau est plus lucrative.
C’est donc la gauche qui fait le pari de se gargariser à l’indignation sur les droits des trans.
Justin Trudeau a lancé une croisade contre le premier ministre du Nouveau-Brunswick parce que le consentement parental sera dorénavant nécessaire pour qu’une école consente au désir d’un jeune de changer d’identité de genre.
Pas si simple
Or, si Justin Trudeau croit que tout débat sur la question des droits parentaux face aux enfants trans est cruel et dangereux, les Canadiens ne voient pas les choses du même œil.
Un sondage Angus Reid, révèle que les trois-quarts des parents voudraient être informés si leur enfant de moins de 16 ans veut changer d’identité de genre à l’école.
Parmi eux, 35% jugent qu’informer les parents suffit. Quarante-trois pour cent penchent pour l’exigence du consentement parental.
Disons que la position radicale de Justin Trudeau est loin de faire l’unanimité. Mais pour les libéraux, le jeu en vaut la chandelle.
Test
En forçant le jeu, les libéraux espèrent mobiliser la frange conservatrice sociale des conservateurs.
Ils y sont déjà arrivés, d’ailleurs. Une pléiade de résolutions sur les droits parentaux dans le cas des enfants trans devra être débattue lors du congrès conservateur à Québec la semaine prochaine.
Ce genre de débat anime les passions. Rien de plus propice aux dérapages dans le cadre d’un congrès politique. Exactement ce que redoute Pierre Poilievre.
Il n’a pas le luxe de voir son parti comparé aux républicains. Mais, ayant fermé la porte à double tour sur l’avortement, il doit consentir une brèche à sa base de conservateurs sociaux.
Ce sera le vrai premier test à l’interne du chef conservateur.