Après deux ans de patience, Rémy Girard a trouvé une famille d’accueil pour son fils
Jean-Marie Lapointe
Rémy Girard revient sur son parcours d’acteur et ses rôles marquants pour Denys Arcand et André Forcier. Il nous parle aussi de son rapport à l’amitié et à la mort, mais surtout de son fils, Renaud.
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Rémy, tu es à l’affiche d’Ababouiné, d’André Forcier, et tu as fêté tes 74 ans le 10 août. Qu’est-ce que ça te fait de vieillir?
J’avoue que, quand j’ai passé le cap des 70 ans, ç’a été un petit choc. Oh boy, là, je sais que j’ai un bout de chemin de fait! Heureusement, je suis en très bonne santé. Je pense que ça va continuer quelques années encore. Mais c’est sûr que le cap des 70 ans, c’est quelque chose.
Vieillit-on mieux lorsqu’on est encore sollicité et professionnellement actif?
Oui. C’est sûr que ça a diminué un peu parce qu’il n’y a pas toujours des personnages de mon âge, mais j’ai encore des projets de films. Il y a encore des producteurs qui veulent travailler avec moi. Alors, oui, c’est plus facile de vieillir dans ce contexte. Avec Denys Arcand, par exemple, en 40 ans, on a fait sept films. Nous sommes un bon duo. Nous ne sommes pas vraiment amis, on ne se voit pas en dehors des tournages, mais c’est sûr que je réponds toujours présent à l’appel. Son dernier projet, Testament, c’était vraiment... J’ai beaucoup aimé. On se comprend très, très bien, Denys et moi. Et il me dit souvent: «Moi, j’écris les personnages, toi, tu les dis.» Et c’est parfait comme ça. Nous sommes un bon team.
Est-ce que tu dis oui avant même de lire le scénario, quand c’est Denys qui t’appelle?
Absolument. Je sais que ça va me correspondre parfaitement en tant qu’acteur. Et ce n’est jamais le même personnage. Il y a une grosse différence. Denys, c’est un excellent dialoguiste et un grand réalisateur. C’est sécurisant pour un acteur de travailler avec un capitaine de bateau qui sait d’où on part et où on va. C’est la même chose avec André Forcier. C’est une relation qui dure depuis des années. Je suis parfaitement à l’aise dans son univers, que je dirais surréaliste. Menteuse, le film que je viens de faire avec Émile Gaudreault, sera mon 62e en carrière. Quand je suis sorti de l’école de théâtre, j’ai fait beaucoup de théâtre, mais je ne pensais jamais que ma carrière d’acteur se passerait essentiellement au cinéma québécois, et au cinéma canadien-anglais aussi parce que je travaille souvent dans l’autre partie du pays.
Sans Le déclin de l’empire américain, on peut spéculer sur la carrière que tu aurais eue...
Ça aurait été complètement une autre histoire parce que Le déclin a déclenché quelque chose qui ne s’est jamais arrêté. Le déclin a été un moment fort, ç’a été un succès international. Je me souviens quand Les invasions barbares a été choisi en compétition officielle à Cannes. Denys m’a appelé chez moi pour me le dire. On a eu un grand moment de silence, tous les deux, et il m’a dit: «On n’est pas pires.» J’ai répondu: «Ouais, on n’est pas pires.» Juste ça.
Lorsque tu acceptes un projet, essaies-tu de t’amuser le plus possible?
Moi, c’est le personnage qui me fait accepter le projet. D’abord le personnage, ensuite le scénario. C’est curieux à dire. J’ai joué des personnages très intéressants dans des scénarios qui étaient plus ou moins intéressants. Je m’investis totalement dans mes personnages, comme ç’a été le cas pour Stan, dans Les Boys. Stan est la figure patriarcale du cinéma par excellence. On est rendu à trois générations de spectateurs qui ont vu Les Boys. Il y a aussi Pogo, dans La petite vie. Quand on l’a reprise cette année, ça faisait 30 ans qu’on n’avait pas touché à ça. Toute la gang s’est retrouvée dans la salle de lecture. On était tous là, vivants, dans la soixantaine avancée. On est retombés dans les mêmes relations entre les personnages. C’était magnifique! Ça, c’est un cadeau. D’autant plus que c’est une sitcom; on n’en fait plus, des sitcoms, aujourd’hui. Pour les sitcoms, le public est en studio et on fait deux enregistrements avec deux auditoires différents dans la même journée. Pour La petite vie, le public était tellement content de nous revoir, 30 ans après!
Considérant tes 50 ans de métier, quels sont les plus beaux cadeaux qu’on t’ait faits?
Monseigneur Mador, qui était dans Je me souviens et qui revient dans Ababouiné. C’est rare de pouvoir jouer un personnage comme ça à deux moments différents. C’était la même chose pour Rémy dans Le déclin de l’empire américain, puis dans Les invasions barbares. D’ailleurs, c’est comme ça que Denys m’a présenté la chose. Il m’a dit: «Je pense que j’ai un cadeau pour toi. Ça fait deux ans que j’essaie d’écrire sur la mort, et je n’y arrive pas parce qu’on ne peut pas rire avec la mort, ce n’est pas drôle. Mais je ne veux pas faire un film dramatique. J’ai eu l’idée de reprendre ma gang du Déclin, et je vais faire mourir celui qui aime le plus la vie: ton personnage.» C’était un méchant beau cadeau, ça. Tout est allé de soi. L’écriture, le montage, le jeu des acteurs... On s’est tous retrouvés. Ç’a été vraiment très impressionnant.

Parlons un peu de la mort. Est-ce que c’est quelque chose qui fait partie de ta vie ou tu mets ça de côté?
J’aime autant ne pas trop penser à la mort. Ça n’occupe pas beaucoup mes pensées. Le fait de jouer dans un film qui en parle, ça aide à évacuer. Mon père est mort de démence vasculaire. Mes rôles dans les films Il pleuvait des oiseaux et Tu te souviendras de moi sont inspirés de choses que j’ai prises de lui. Édouard Beauchemin, ce n’est pas mon père, mais... Mon père, c’était quelqu’un de très actif en politique, un gars très intelligent. On dirait qu’on pèche par où on a excellé. Personne ne veut mourir à petit feu et perdre toutes ses capacités.
J’aimerais aborder avec toi le sujet de l’amitié, notamment en parlant de Normand Chouinard.
Quand on s’est rencontrés, j’avais 12 ans et lui, 14. On ne s’est jamais lâchés. Il vient encore chez nous, je vais chez lui. Il a perdu sa belle Rosine... Les dernières années ont été très dures pour lui. C’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît les véritables amitiés.
Rosine Chouinard-Chauveau, la fille de Violette Chauveau et de Normand, est décédée à l’âge de 28 ans en 2021. C’est le pire cauchemar pour un parent...
La naissance d’un enfant est censée être le plus beau moment de la vie, mais ça peut être le pire cauchemar. Quand on te dit que ton garçon de deux jours a eu une hémorragie au cerveau et qu’il aura des séquelles graves... Deux jours! Ça, ça change une vie en cibole. J’avais 45 ans quand Renaud est né. C’est mon premier et seul enfant. Il comprend beaucoup plus que ce qu’il est capable d’exprimer, et il rit avec moi. On apprend à vivre avec ça. Janine Sutto m’a beaucoup aidé, elle est passée par là avec Catherine, la jumelle de Mireille. À l’époque, nous tournions Maman chérie pour la télévision. Elle m’a dit: «Tu vas vivre de grandes joies avec cet enfant-là. Chaque fois qu’il réussira à faire quelque chose à quoi tu ne t’attendais pas, tu seras heureux.» Elle avait raison. Janine Sutto a été ma mère virtuelle, puisqu’elle a joué ce rôle trois fois dans sa carrière: au théâtre, dans Les Boys et dans Maman chérie. J’aimais beaucoup, beaucoup cette femme.
S’il y a quelqu’un qui pouvait comprendre les défis liés au fait d’avoir un enfant différent, c’est bien Janine. Et il y a aussi toute l’angoisse du «quand je ne serai plus là»...
Je n’ai plus cette angoisse grâce à la famille d’accueil. C’est aussi pour ça que Renaud est allé dans une famille d’accueil. Quand on meurt subitement, qu’est-ce qui arrive à nos enfants différents? On les place dans un centre, dans un endroit d’urgence ou dans un CHSLD, avec des personnes plus âgées... Là, on a pu choisir. J’ai quand même dû patienter deux ans sur une liste d’attente.
Janine te disait que tu vivrais de grandes joies, et maintenant, tu vois Renaud avec des chums, avec ses colocs, sa famille — qui est symbolique. Comment vis-tu cette réalité?
Je vis très bien avec ça. Ça me sécurise beaucoup de savoir qu’il est bien et qu’on prend soin de lui. Renaud n’a pas besoin de soins médicaux, il est en très bonne santé. Mais il a besoin d’attention, il a besoin d’action. Puis, il y a sa musique. Renaud a tout un appareillage pour faire de la musique et écouter ses chansons préférées. Quand je vais le voir, on va dans sa chambre, on met les chansons qu’on connaît et on chante ensemble. Il me demande toujours si je vais chanter avec lui et je réponds: «Oui, c’est sûr.»
Tu as une vie grandiose, mais les épreuves ne t’ont pas épargné. Ce n’est pas un pique-nique, la vie...
Si on regarde ça... des fois, oui. On ne s’attend pas à ces choses-là. Janine avait raison quand elle disait que j’allais connaître des moments de joie avec Renaud. Ce qui m’attristait beaucoup, c’était de me dire qu’il n’aurait jamais de blonde, qu’il ne travaillerait pas, qu’il n’irait pas à l’école. Il est allé à l’école spécialisée, mais, à 21 ans, c’est fini. Tu sais, il ne connaîtra jamais ça, ces choses-là. Mais là, je suis content, il est avec deux autres personnes de son âge.
Je te laisse le mot de la fin.
Je souhaite à tout le monde, aux acteurs et aux actrices, d’avoir la carrière que j’ai. Je leur souhaite ça.

Ababouiné d’André Forcier prend l’affiche le 23 août. La troisième saison de Portrait-robot sera présentée sur illico+ plus tard en 2024.