Antoine Bertrand partage sa carrière entre le Québec et la France
Michèle Lemieux
Même si sa carrière l’amène souvent en France, où la demande ne s’essouffle pas, le cœur d’Antoine Bertrand est bien ancré au Québec. Heureux de partir, l’acteur est toujours content de rentrer au pays. Pour le film La femme cachée, l’interprète de Sylvain s’est partagé entre les deux continents, et c’est sur les plateaux à Montréal, où il concluait les tournages, que nous avons eu l’occasion de le rencontrer.
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Antoine, qu’est-ce qui t’a convaincu de tourner dans La femme cachée?
Personnellement, c’est toujours l’histoire qui m’accroche et qui me confirme que je devrais accepter de faire un projet ou non. Celle-ci m’a accroché, et j’ai eu envie d’en faire partie. Je voulais baigner dans l’univers du film, mais aussi dans la culture kabyle.
De quoi est-il question dans ce film?
C’est comme dans la vie: il y a des parts d’ombre, mais aussi des parts de lumière, des passages torturés et des fous rires. Et tout ça peut se passer dans les mêmes cinq minutes. On ne sera jamais aussi fou que la vie! On retrouve Halima (Nailia Harzoune) au Québec avec son mari et sa petite fille, 15 ans après qu’elle a quitté la France. Elle retourne chez elle, car elle a besoin de faire le point par rapport à des traumatismes de son enfance. C’est une histoire qui est traitée de manière très humaine par Bachir (Bensaddek, le réalisateur). C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté le projet: je voulais travailler avec lui. J’avais beaucoup aimé son premier film. J’avais aussi envie de représenter une minorité dans une histoire. Je suis entouré d’Arabes. Ce que je vis comme acteur, mon personnage le vit aussi. Sylvain est une bine dans une canne de pois. Il découvre non seulement cette culture, mais aussi la femme avec qui il vit depuis 15 ans.

Parce qu’il ignorait tout de son passé?
Elle ne lui avait rien dit. Il ne savait à peu près rien d’elle. Ça raconte son cheminement à elle, mais aussi celui de son conjoint. Comment apprend-on à connaître une personne après 15 ans de vie de couple? Ce qu’il découvre explique beaucoup de choses dont il se doutait. Tout le monde a ses petits secrets. Certains amènent les leurs dans leur tombe, d’autres les voient éclore au grand jour. On ne sait jamais à quel moment tout peut basculer, et c’est ce qui fait que c’est si précieux.
Je me suis laissé dire que tu amènes une certaine légèreté sur le plateau...
Avec une histoire comme celle-là, il faut se permettre de se détendre aussi. Ça ne sera une surprise pour personne: j’aide parfois à ça... (sourire) En vieillissant, c’est aussi important de savoir quand c’est le temps de le faire et quand c’est le temps d’être en mode solennel. À 25 ans, je ne me posais pas la question. Parfois, ça devait aider, parfois ça devait déranger, mais bon, je me pardonne, car j’étais jeune. Je suis encore capable d’être complètement impertinent. C’est un droit que je revendique et qui est nécessaire! Tout compte fait, nous ne sauvons pas des vies. Le plateau de tournage d’un drame peut devenir lourd. Par expérience, je sais que rire à quelques reprises dans la journée fait du bien. Dans ce projet, je veux être le meilleur soldat possible pour Bachir et le meilleur partenaire possible pour Nailia, qui porte le film sur ses épaules. Elle a une forte charge émotionnelle à assumer. Mon mandat, c’est de mettre le plus possible mon ego de côté, de me questionner quant à ce que je peux faire pour les autres et de m’amuser à travers mon personnage. Tourner, c’est un sport d’équipe. Il faut accepter d’être «au service de». C’est plus difficile d’avoir cette attitude si tu n’as jamais eu un moment gratifiant, une tape dans le dos, de la reconnaissance.
Si ce n’est pas le cas, tu as tendance à chercher la lumière?
Oui. C’est facile pour moi d’avoir cette attitude, car le métier m’a tellement donné! Je ne suis pas en carence de quoi que ce soit.
C’est quand même extraordinaire de voir comme ta carrière en France se poursuit! Tu es toujours heureux de son évolution?
Je suis content pour plusieurs raisons, entre autres, pour mon agente, Micheline St-Laurent, qui est la plus grande fan de cinéma français au monde. Je n’ai pas d’agent en France, c’est donc elle qui fait toutes mes choses là-bas. Je suis content de voir comme ça l’excite, je dirais même, à la limite, plus que moi... (sourire) C’est rare dans la vie qu’on puisse recommencer à zéro ailleurs, mais avec toute l’expérience acquise. C’est une autre belle affaire. Ça me permet de rencontrer du monde et c’est pour cette raison que je fais ce métier. Moi, je vis pour le monde, j’aime le monde. Au garage, à l’épicerie, sur un plateau, je suis une bibitte sociale. Contrairement à ce que les gens pensent, je ne suis pas beaucoup en France. Je ne pourrais pas être beaucoup là-bas.

Parce que tu t’ennuierais?
Oui. Quand, après deux mois de tournage, tu mets du Louis-Jean Cormier et que tu brailles en dessous de tes lunettes de soleil, il est peut-être temps que tu reviennes chez toi... Je suis un ennuyeux.
Aurais-tu le mal du pays?
Vraiment! Je suis content d’être là-bas et je suis aussi content de revenir. Mais ce qui me rend le plus fier, c’est de jouer des Québécois là-bas, d’y amener notre culture, notre histoire. Sans complexe. Ça se passe très bien. J’aime faire découvrir qui on est, notre musique, etc.
As-tu d’autres projets?
Oui, je tournerai Mlle Bottine cet automne, la nouvelle version de Bach et Bottine. C’est un grand film: la barre est haute. Ça mérite toute notre attention. Philippe, mon personnage, est un agoraphobe, un anxieux qui vit en ermite dans son appartement. Il faut raconter cette histoire de manière différente.
Tu marqueras donc l’imaginaire des enfants pour bien des années à venir!
C’est aussi pour cette raison que j’ai accepté. Jouer pour les enfants, je n’ai pas fait ça dans ma carrière. Je dis toujours que je mets un peu de Fardoche dans mes personnages. C’était notre modèle masculin, c’était mon modèle. Égoïstement, j’ai envie de faire quelque chose pour une génération de jeunes. Nous avons grandi avec des films pour enfants qui ont développé notre culture. Si on continue de faire du cinéma jeunesse drôle, intelligent et familial, on va se créer une autre banque de spectateurs qui ne grandiront pas qu’avec des projets qui viennent de l’extérieur.
Si je comprends bien, tu auras donc quelques mois devant toi pour décrocher entre tes deux projets...
Décrocher? Je suis toujours en train de décrocher. C’est raccrocher qui est plus rare pour moi! Je ne travaille pas tant que ça. Je suis conscient de la chance que j’ai. Je n’ai pas besoin de beaucoup. J’ai besoin de paix et de tranquillité. Je suis chanceux, je peux me le permettre. J’ai beaucoup bûché et ce n’était pas cohérent avec ce que je voulais dans la vie. La job, ce n’est pas la chose la plus importante. Je sais que c’est facile à dire quand le téléphone sonne, car le jour où il ne sonne plus, ça devient un gros défi... Quand le monde ne veut plus de toi, es-tu toujours aussi zen? On le saura quand ça arrivera, si ça arrive. Je sais juste que si je mitraillais comme je mitraillais dans le temps, je ne serais pas heureux. Il ne faut pas être insécure. J’ai appris à lever le pied. C’est un choix sensé pour la carrière et la vie personnelle.
La sortie du film La femme cachée est annoncée pour 2024.
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