Fleuve Saint-Laurent: des espèces pourraient disparaître parce que les eaux se réchauffent


Élizabeth Ménard
Le golfe du Saint-Laurent a été affligé par une vague de chaleur marine le mois dernier, alors que les températures de surface sont montées à des niveaux jamais enregistrés auparavant.
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Dans la semaine du 23 au 29 juillet, les eaux du golfe du Saint-Laurent ont été, en moyenne, 3,1°C au-dessus des normales de saison.
«C’était une très grosse anomalie», affirme le chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne, Peter Galbraith.
Dans la baie des Chaleurs et le plateau madelinien, le mercure a dépassé les 20°C durant cette même période.
«C'est ce qu'on appelle une vague de chaleur marine», explique M. Glabraith. Pour être caractérisée ainsi, elle doit durer au moins cinq jours et les températures doivent être au-delà du 90e percentile d’occurrence.
Jamais on n’avait enregistré une telle anomalie depuis 1982, année où l’Institut a commencé à prendre les températures de surface par télédétection dans le golfe du Saint-Laurent.
La cause est assez claire: «Il a fait chaud au mois de juillet et ça a affecté les températures de l'eau de surface du golfe du Saint-Laurent de façon très remarquable», explique l’océanographe.
Cette vague de chaleur ne peut pas être attribuée au phénomène climatique El Niño qui affecte plutôt le Pacifique équatorial.
«C’est sûr et certain. Je ne peux pas mettre le doigt sur El Niño pour grand-chose qui se passe en océanographie dans le golfe du Saint-Laurent. J’ai zéro corrélation. Statistiquement, ça ne fonctionne pas», précise le chercheur qui étudie le climat du Saint-Laurent depuis près de 30 ans.
De plus en plus fréquent
C’est un record qui survient au milieu d’un été fortement marqué par les événements climatiques extrêmes, propulsés par un réchauffement climatique de plus en plus évident.
«Ça se produit de plus en plus fréquemment en termes de statistiques», mentionne Peter Galbraith.
L’année 2022 avait d’ailleurs été la plus chaude jamais enregistrée dans le golfe du Saint-Laurent. La hausse est particulièrement marquée dans les eaux profondes qui ont dépassé les 7°C en moyenne, l’an dernier.
«Chaque année, on brise le record de l'année d'avant. En 10 ans, on a monté d'un degré», déplore-t-il.
Tout un écosystème bouleversé
Cette hausse de température a des conséquences sur les animaux marins.
«Les mammifères marins et les grands migrateurs en général, les populations de poissons qui vont se déplacer, ont besoin de repères de température pour moduler leur migration», explique la biologiste marine Lyne Morissette.
Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est que l’eau qui se réchauffe perd sa capacité à contenir l’oxygène dont les poissons ont besoin pour vivre. Ça entraîne la création de ce qu’on appelle des zones mortes.
«Il y a plusieurs secteurs, dans le Saint-Laurent, qui deviennent des zones d'hypoxie, c’est-à-dire qui n'ont pas le seuil minimum d'oxygène pour permettre la vie des espèces marines», précise Mme Morissette.
Le homard, qui apprécie les eaux froides, s'est déplacé du Maine vers le golfe du Saint-Laurent, ce qui réjouit les pêcheurs canadiens. Mais le crabe des neiges, qui vit chez nous, voit son habitat thermique se réduire.
«Toutes les espèces marines sont en train de migrer vers le Nord. Le problème c'est qu'un moment donné y'a une limite, souligne la biologiste. Le Nord a une fin.»
Les baleines sont, elles aussi, affectées par ce réchauffement climatique puisque leurs proies vont se déplacer.
«Elles vont parfois devoir parcourir de plus grandes distances pour trouver la nourriture et c’est une dépense énergétique qui est tellement importante que, pour certaines espèces, elles ne vont pas faire la reproduction», explique-t-elle.
Au final, c’est toute la structure de l’écosystème qui est affectée par cette hausse des températures.
«Ce qu'on vit comme changements, c'est beaucoup trop rapide pour que, génétiquement, les espèces soient capables de s'adapter. Ce qu'on va voir, au lieu des adaptations, ce sont des disparitions d'espèces ou d'individus», déplore Mme Morissette.