Amqui: un phénomène de société?

Richard Martineau
De toutes les sphères des sciences humaines (appelées aussi «sciences molles» par certains sceptiques qui trouvent qu’il n’y a pas grand-chose de scientifique dans ces «supposées» sciences), celle qui m’a toujours le plus intéressé est la psychosociologie.
Comme son nom l’indique, c’est une discipline qui se situe à cheval entre la psychologie et la sociologie.
TOUT EST LIÉ
Si je voulais résumer, quitte à tourner les coins ronds, la psychosociologie étudie l’impact des phénomènes sociaux sur la psycho-logie des individus.
Car nous ne vivons pas seuls dans le fin fond du bois. Nous vivons en société.
Or, les mouvements qui traversent cette société ont forcément des effets sur la façon dont nous nous comportons, comment nous nous sentons — bref, sur notre psychologie.
Ce qui se passe autour de nous a une influence directe sur ce qui se passe entre nos deux oreilles.
Prenez la consommation de drogues, par exemple.
Pourquoi la coke était si populaire dans les années 80?
Parce que les années 80 étaient l’âge d’or du néo-libéralisme. Et que les valeurs mises de l’avant par le néo-libéralisme sont la performance, le fric, la compétition, l’efficacité.
Or, quelle drogue vous donne l’impression d’être plus performant? La coke.
Ceci explique cela.
L’extérieur/l’intérieur, la collectivité/l’intimité, l’économie/la psychologie — tout ça est relié.
LA MÈCHE COURTE
Ce qui m’amène à la tragédie qui s’est déroulée à Amqui (et, il y a un mois, à Laval).
Il me semble qu’on voit de plus en plus de drames du genre. Des gens qui pètent les plombs et qui foncent dans le tas.
Au lieu de les amener à imploser, leur détresse psychologique les amène plutôt à exploser.
Se pourrait-il que le contexte social dans lequel nous vivons soit (en partie) responsable de ce phénomène?
On n’a qu’à regarder les messages qui circulent sur internet, toute cette rage qui bouillonne, qui fermente, qui percole.
Les gens ont de plus en plus la mèche courte.
Une petite étincelle, et BAM!
Ça ne prend plus beaucoup de temps pour qu’une discussion entre deux individus qui ne se connaissent pas se transforme en guerre ouverte.
Une minute et l’un traite l’autre de nazi.
On dirait que nous sommes tous des bombes ambulantes. À deux doigts de piquer une crise de rage au volant.
AMERICAN PSYCHO
Dans son roman culte American Psycho, qui se déroule justement dans les années 80, l’écrivain Bret Easton Ellis fait un lien entre le culte de la performance, le narcissisme crasse et l’individualisme forcené qui ont marqué cette époque, et la vogue des tueurs en série.
Pour lui, ces deux phénomènes étaient profondément liés.
- Écoutez l'entrevue du Dr Gilles Chamberland, psychiatre à l'institut Philippe Pinel au micro de Richard Martineau, disponible en balado sur QUB radio :
Le yuppie se définissait par le nombre de millions qu’il avait en banque, et le tueur en série, par le nombre de victimes qu’il avait enterrées.
Le tueur en série était un capitaliste, et le capitalisme, un tueur en série.
Se pourrait-il qu’il y ait un lien entre ce qui s’est déroulé à Amqui et cette polarisation qui empoisonne notre époque?
Et qui nous amène à percevoir les autres comme des ennemis?
Il me semble qu’il y a là une question qui mérite d’être fouillée.