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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

«Amène tes couilles ici»: des chauffeurs d’autobus scolaires de partout au Québec vulgaires et imprudents

Sacres, insultes, menaces, excès de vitesse et conduite dangereuse ont été rapportés dans de nombreux centres de services scolaires

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Photo portrait de Dominique  Scali

Dominique Scali

2025-05-03T04:00:00Z
2025-05-03T14:09:31Z
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Savez-vous vraiment ce qui se passe dans l’autobus jaune de votre enfant? Chauffeurs vulgaires ou agressifs, élèves turbulents hors de contrôle, enfants égarés. Le Journal a épluché des centaines de plaintes en lien avec le transport scolaire.


Le fils de Sarah Gendron venait d’avoir 12 ans lorsque le conducteur d’autobus lui aurait dit: «Sors dehors, on va régler ça entre hommes». Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres de comportements agressifs recensés par Le Journal à bord des autobus scolaires.

«Es-tu mongol?» Voilà la réaction qu’aurait eue un chauffeur problématique de Lanaudière devant les tics du garçon de Mme Gendron l’an passé.

«Il lui a déjà dit: “Tu es un jeune câlisse qui mériterait des volées”», énumère-t-elle à propos de cet homme qui, l’an passé, assurait le circuit devant chez elle, à Lanoraie.

À deux garçons qui se chamaillaient, il aurait déjà lancé: «Voulez-vous que je sorte de l’autobus? Je vais vous montrer comment vous battre», abonde Mélissa Gélinas, une mère habitant le même rang.

Depuis que le circuit est assuré par une autre compagnie et un autre chauffeur, qui «est une perle», ça va beaucoup mieux, conclut Mme Gélinas.

Le chauffeur problématique accompagne-t-il toujours des enfants? Le centre de services scolaire des Samares a adressé Le Journal au transporteur M&J, qui lui, a refusé de répondre à la question.

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Vaste florilège

Ce conducteur n’est clairement pas le seul à utiliser ce genre de langage. Le Journal a trouvé des exemples semblables à la pelle en épluchant les centaines de plaintes en lien avec le transport scolaire reçues dans plus de 25 centres de services scolaires (CSS) depuis 2022.

«Fermez vos gueules» est sans conteste l’expression qui revient le plus souvent dans les plaintes, mais le florilège de vulgarités est vaste.


«Depuis le début de l’année, le conducteur de l’autobus arrête celui-ci sur le bord de la route, descend la première marche, ouvre la porte de l’autobus et urine dehors alors que les enfants sont à bord.» Le chauffeur aurait d’ailleurs des «antécédents» à ce sujet, selon les notes du suivi. - CSS des Laurentides


«Amène tes couilles ici», aurait lancé une chauffeuse à un garçon pour lui demander de changer de banc. - CSS des Laurentides


«Le chauffeur dit “ta yeule” et “si t’avais 18 ans, je t’aurais pété les dents”.» Le transporteur a été avisé. - CSS de la Région-de-Sherbrooke, Estrie


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À cela viennent s’ajouter les nombreuses plaintes relatives à la conduite dangereuse, notamment celles concernant des chauffeurs qui font exprès de freiner brusquement pour «faire asseoir» ou discipliner les enfants.

«Ça n’a pas vraiment de sens que vous embauchiez ce genre de personnes», s’indignait une mère de Montréal à l’automne 2024 à propos d’un conducteur intimidant.

«Je ne pouvais pas croire»

Les cas examinés par Le Journal ne sont pourtant que la pointe de l’iceberg, puisque des parents préfèrent ne pas porter plainte.

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«J’étais dans tous mes états», raconte Jennifer Tremblay évoquant le moment où elle a appris que son fils Nolan, alors en première année, avait été poussé contre son banc par le chauffeur, en novembre 2022.

À cette époque, il fréquentait une école anglophone de Mascouche, dans Lanaudière.

Son garçon n’était pas un ange et avait de la difficulté à rester tranquille. Il a depuis reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme et d’hyperactivité.

«Mais qu’un inconnu ose porter un geste physique violent envers lui, je ne pouvais pas le croire. Je n’ai pas dormi de la nuit», déplore Mme Tremblay. «Le chauffeur n’a pas nié.»

Dès le lendemain, l’école a pris la situation en main et Nolan a été transféré dans une berline scolaire. C’est pourquoi elle n’avait pas jugé nécessaire de déposer une plainte officielle.

«Mais en y repensant, je me dis: si d’autres enfants vivent la même chose...»

«S’il vous plaît, ne me faites pas perdre mon chauffeur»

Comment expliquer que des gens aux comportements inacceptables soient gardés en poste en présence d’enfants? La difficulté de recruter de nouveaux chauffeurs est une des principales causes, selon plusieurs.

«La compagnie m’a dit: “Madame, s’il vous plaît, ne me faites pas perdre mon chauffeur, on est en manque de personnel”», écrivait une mère de la Montérégie dans sa plainte de septembre 2023.

Elle dénonçait pourtant des comportements graves. Le chauffeur était agressif, traitait les jeunes de «2% de neurones» et freinait brusquement, en plus de ne pas respecter l'horaire du parcours. Il avait déjà été retiré d’un autre circuit à la suite de plaintes d’autres parents, rapportait la mère.

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«Comptez-vous chanceux d’avoir du transport», se serait-elle fait répondre par la suite.

Mal payés

Bien souvent, les chauffeurs sont laissés à eux-mêmes avec peu d’outils et peu de formation, explique Josée Dubé, vice-présidente à la Fédération des employées et employés des services publics (FEESP-CSN).

Josée Dubé, qui représente les conducteurs d'autobus à la Fédération des employées et employés des services publics, affiliée à la CSN.
Josée Dubé, qui représente les conducteurs d'autobus à la Fédération des employées et employés des services publics, affiliée à la CSN. Photo Agence QMI, JOEL LEMAY

Mais il y a aussi un problème d’attraction, explique-t-elle. «Ce n’est tellement pas payant, les transporteurs n’ont pas le loisir de trier sur le volet. Ça ne court pas les rues, les gens qui veulent faire ça.»

«Comme syndicaliste, j’ai déjà dit à un transporteur: vous n’auriez pas dû le garder, ce chauffeur», avoue-t-elle. «Mais on n'en avait pas d’autres.»

Pourtant, le gouvernement a bonifié de 130 M$ l’enveloppe allouée aux transporteurs scolaires en 2022. À de nombreux endroits, les sommes n’ont toujours pas ruisselé jusqu’aux conducteurs, dénonce Mme Dubé. Dans les deux dernières années, grèves et lock-out se sont succédé.

«C’est sûr que le recrutement, ça demeure un enjeu majeur», explique Luc Lafrance, président de la Fédération des transporteurs par autobus.

Une solution à explorer serait celle d’exemptions fiscales qui feraient en sorte d'attirer les retraités, qui composent la majorité des chauffeurs scolaires, explique-t-il.

Les bons partent

«Des fois, ils prennent n’importe qui qui a le bon permis», déplore Carole Laplante, 62 ans, une conductrice d’expérience de Montréal. «Présentement, on en engage qui ne parlent ni français ni anglais», s’étonne-t-elle.

Pendant ce temps, «il y a de bons chauffeurs qui partent parce que rien n’est fait» pour régler les problèmes vécus sur le terrain, ajoute Mme Laplante.

C’est le cas notamment lorsque des jeunes restent impunis par l’école malgré leur turbulence à bord.

POUR DEVENIR CHAUFFEUR D’AUTOBUS SCOLAIRE

Permis de conduire classe 2 (plus de 24 passagers)
Formation additionnelle de 15 heures dans un centre de formation en transport accrédité 
Salaire horaire médian: 21,85$/heure 1
Salaire annuel moyen: 25 000$ 2


1- Statistique Canada, données de 2022-2023
2- Estimation de la CSN

Votre témoignage m'intéresse

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