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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Améliorer les soins orthopédiques au Québec: la méthode forte ne fonctionnera pas

Crédit photo : Julie Fournier, orthopédie CIUSSS NIM
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Dominique Rouleau, MD, Msc

2025-05-11T04:00:00Z
2025-05-11T17:42:14Z
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Dernière saga, le ministère de la Santé du Québec dévoilait un nouveau projet de loi de performance aux médecins. Cette réforme prévoit des pénalités pour les médecins jugés «non performants». Or, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer cette approche coercitive, jugée contre-productive, notamment dans le domaine de l’orthopédie, que je connais bien, où la situation est déjà critique. 

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis diplômée sur la liste d’honneur du doyen de l’Université de Montréal en 2006 en chirurgie orthopédique. Je compte 13 années de scolarité universitaire et je pratique par amour de mes patients et de la recherche à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal depuis 2008, où je suis née moi-même il y a fort longtemps...

Pression croissante 

Selon les données de Santé Québec, plus de 25 000 patients étaient en attente d’une chirurgie orthopédique en début d’année. Au total, ce sont 785 000 Québécois qui attendent une consultation en médecine spécialisée. Parmi eux, environ 60 000 sont en attente d’un rendez-vous avec un orthopédiste, dont 42 000 hors délai. Ces chiffres sont sans doute sous-estimés, puisque 25% des Québécois n’ont pas de médecin de famille et ne peuvent donc pas accéder au système de référencement centralisé (CRDS).

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La nouvelle politique du ministre Christian Dubé mise sur la pression pour «améliorer la performance». Mais peut-on réellement s’attendre à de meilleurs soins en imposant davantage d’exigences à des professionnels déjà à bout de souffle?

Le mythe du chirurgien invincible masque une réalité troublante: près de la moitié des chirurgiens canadiens souffrent d’épuisement professionnel. Une étude publiée en 2021 rapporte que 47,8% d’entre eux vivent un burnout. À l’échelle mondiale, cette proportion est d’environ 40%. Cette prévalence est le double de la population générale. Les conséquences sont graves: augmentation des erreurs médicales, détérioration de la relation médecin-patient, comportements perturbateurs, et même un risque de suicide doublé, particulièrement chez les jeunes chirurgiens.

«Qui voudrait se faire opérer par un professionnel épuisé?» demande un orthopédiste inquiet. «Accepterions-nous qu’un pilote d’avion traverse l’Atlantique alors qu’il est à bout de forces?»

Des exigences toujours plus élevées

Les facteurs de risque de l’épuisement chez les chirurgiens sont bien documentés: surcharge administrative sans soutien, horaires imprévisibles, travail de nuit, pression constante, et faible reconnaissance. Des études soulignent également que les qualités mêmes qui font de bons chirurgiens – empathie, rigueur, engagement – les exposent davantage au burnout.

La détresse psychologique des médecins a aussi un effet domino: elle empoisonne les relations d’équipe, diminue la qualité des soins et accélère le départ du personnel hospitalier. Le système privé, perçu comme plus humain et mieux organisé, devient une échappatoire attrayante pour plusieurs. Le départ en grand nombre d’orthopédistes actuellement avec le projet de loi 83 vient augmenter la charge des médecins restants à bord du système public. Les quelques départs déjà confirmés pour donner suite au projet de loi causent l’écroulement des équipes et démontrent la fragilité des services orthopédiques en place, qui fonctionnent déjà au-dessus des capacités des individus depuis des années.

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Des solutions concrètes existent

Face à l’urgence, plusieurs solutions sont proposées pour améliorer la situation sans recourir aux menaces:

– Remplacer les sanctions par une approche de collaboration et d’écoute;

– Créer des milieux de travail stables et prévisibles;

– Instaurer des adjoints médicaux pour alléger la charge administrative;

– Offrir un soutien clinique systématique (IPS, IPAC, assistants, physiothérapeutes, ergothérapie, etc.);

– Limiter les heures opératoires de nuit;

– Favoriser la collégialité et le soutien entre les collègues par des réunions scientifiques/éducatives régulières;

– Augmenter l’efficacité et l’accessibilité des plateaux techniques de jour

Les médecins ne sont pas les meilleurs juges de leur propre état de santé physique et mentale: c’est bien connu. C’est pourquoi les institutions hospitalières ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention et l’accompagnement bienveillant de ses professionnels.

Il est irréaliste de croire que l’on peut augmenter la productivité en orthopédie, tout comme dans les autres domaines médicaux, en ignorant la détresse du personnel médical. Pour réduire les listes d’attente, améliorer les soins et retenir les professionnels dans le réseau public, il faut d’abord prendre soin de ceux qui soignent. Miser sur une pratique saine de la médecine n’est pas un luxe: c’est la solution pour relever le nez de l’avion en chute libre qu’est notre système de santé. C’est une question de sécurité.

Dominique Rouleau
Dominique Rouleau Crédit photo : Julie Fournier, orthopédie CIUSSS NIM

Dominique Rouleau, M.D., MSc, chirurgienne orthopédiste CIUSSS NÎM, professeure agrégée au Département de chirurgie de l’Université de Montréal,
titulaire de la Chaire de recherche en orthopédie de l’Université de Montréal de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

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