Un balado de CBC Podcasts traduit en français... à Paris pour éviter l'accent québécois
Mélissa Pelletier
Pour l’adaptation en français du balado canadien à succès Alone, A Love Story, CBC Podcasts a préféré les services du studio parisien Ochenta plutôt que l’expertise d’ici, notamment parce que l’accent québécois aurait moins de potentiel international.
Avec un accent français, la comédienne française Marion Lesongeur raconte les aventures de Michelle Parise, une journaliste et autrice de Toronto en plein divorce. C’est le studio parisien Ochenta, en collaboration avec Radio-Canada OHdio, qui a obtenu le mandat d’adapter en français et en espagnol le balado canadien Alone, A Love Story, écouté des millions de fois depuis sa sortie en 2017.

« On ne voulait pas un français québécois, pour favoriser l’intérêt à l’international », affirme Cesil Fernandes, producteur exécutif chez CBC Podcasts, filiale du réseau anglais de Radio-Canada.
Un choix questionné par Radio-Canada
Des auditeurs québécois pourraient être froissés en tombant sur cette adaptation d’un balado canadien de CBC Podcasts narré avec un accent français.
Est-ce que la réception des Québécois et des communautés francophones du Canada a été évoquée dans les premières étapes de création ?
« Je ne me rappelle pas, honnêtement », mentionne Cesil Fernandes, dans une entrevue donnée exclusivement en anglais.

Pourtant, dans les discussions sur cette première tentative de CBC Podcasts de traduire un de ses balados en français et en espagnol, Radio-Canada a posé des questions quant au choix du studio parisien Ochenta.
« Oui nous l’avons fait. CBC Podcasts, qui était responsable de ce projet, a fait son choix en fonction de la stratégie qu’ils ont souhaité déployer pour le projet pilote, soit un projet en espagnol, en français et en anglais pour un public international », indique Émilie Brazeau-
Béliveau, première cheffe publicité, marketing et relations publiques audio et radio chez CBC/Radio-Canada.
- CBC a-t-elle honte de l'accent québécois ? Écoutez la rencontre Durocher-Dutrizac diffusée chaque jour en direc via QUB radio :
Le talent d'ici mis de côté
Malgré les questions de CBC/Radio-Canada, CBC Podcasts a préféré ignorer l’expertise québécoise dans le domaine du doublage. « On voulait aller chercher une plus grande audience pour raconter l’histoire de Michelle. Le studio Ochenta nous a fait un pitch pour traduire en français et en espagnol. On a décidé de travailler avec eux pour leur expérience en adaptations et à aller chercher des publics internationaux », souligne Cesil Fernandes.
Au Canada, des studios sont en mesure de s’acquitter d’adaptation de balados. Au Québec seulement, on peut penser à ContenuMultimedia.com, Toast Studio... CBC Podcasts a d’ailleurs déjà travaillé avec Radio-Canada pour l’adaptation en français du balado Brainwashed, qui s’intéresse aux dérives des expériences menées sur des humains dans le cadre du programme MK-Ultra de la CIA. Intitulé Brainwashed : les cobayes oubliés, le balado lancé en 2021 est animé en français standard par la journaliste et chroniqueuse québécoise Sophie-Andrée Blondin.
Le 6 septembre, le premier épisode de Seule: Une histoire d’amour en français et de Sola: Una historia de amor en espagnol étaient disponibles sur plusieurs plateformes d’écoute en ligne dont Apple Podcasts, Spotify, Amazon Music et Google Podcasts. De nouveaux épisodes seront dévoilés jusqu’au 8 novembre. Pour plus de détails, c'est ici.
Alone, A Love Story : un choix d’adaptation critiqué
«Pour un balado produit et diffusé au Québec, la narration devrait être faite par des artistes d’ici. Et particulièrement dans le cadre d’un balado canadien traduit en français», déplore Tania Kontoyanni, présidente de l’Union des artistes.
Des gens d'ici s'indignent sur ce choix de CBC Podcasts. Pour le doubleur et comédien Sébastien Dhavernas, c'est une occasion manquée de faire rayonner le talent d’ici à l’international.
«C’est le non-respect de notre industrie qui continue. On est souvent perçus comme une cinquantaine d’acteurs qui s’énervent, mais cette industrie fait vivre énormément de gens. Venez faire un tour en studio, vous allez voir qu’il n’y a pas que des acteurs. C’est un secteur qui roule fort, mais qui ne reçoit pas beaucoup d’aide», s’insurge Sébastien Dhavernas.

Même si l’industrie de la baladiffusion est jeune, elle donne de l’écho aux problèmes qui existent depuis longtemps dans le monde du doublage. «Malheureusement, il n’y a ni loi ni obligation pour les producteurs de doublage de le faire au Québec. Nous avons besoin de l’appui du gouvernement pour faire avancer le dossier et sommes justement en discussion avec eux sur le sujet», explique Tania Kontoyanni.
«Le secteur de la baladodiffusion est émergent, une première entente collective a d’ailleurs été signée en 2021. Il aurait donc été possible et facile, pour le producteur, d’appliquer cette entente collective et de valoriser le travail des artistes d’ici», ajoute la présidente de l’Union des artistes.