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L'article provient de 24 heures

Allers-retours Montréal-Québec: quand faire du covoiturage devient une job

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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-11-07T12:00:00Z
2023-11-27T19:52:06Z
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À défaut d’obtenir un service de transport interurbain efficace et abordable, les plateformes de covoiturage comme Amigo Express comptent de plus en plus d’adeptes. Si bien que des automobilistes semblent y avoir trouvé un moyen de faire un peu d’argent en proposant une forme de covoiturage qui s’apparente à du commerce. Est-ce la nouvelle solution pour se déplacer entre les régions?

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Au coin des rues Berri et Sainte-Catherine, à Montréal, attend une fourgonnette blanche de marque Mercedes conduite par Jean. Le départ vers Québec, au prix de 32$ en «argent comptant», est prévu à 13h15. 

Huit passagers, dont la représentante du 24 heures, sont installés dans le véhicule. 

Le règlement d’Amigo Express est pourtant clair: un maximum de cinq personnes peut réserver un même voyage sur la plateforme de covoiturage. 

Mais Jean n’a pas contrevenu directement à cette règle: le chauffeur partait d’Ottawa. Montréal n’était donc qu’un point de chute sur son itinéraire pour déposer des voyageurs et en faire monter de nouveaux, comme à Québec. 

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«On sait qu’il y a une tolérance de la loi dans la province par rapport au covoiturage, mais pour nous, c’est cinq passagers maximum», insiste le président-directeur général d’Amigo Express, Marc-Olivier Vachon. 

«Le covoiturage commercial n’est pas toléré chez nous. Ce n’est pas dans l’esprit de l’entreprise», précise celui qui a fondé la plateforme en 2006. 

Pas un revenu pour les conducteurs

Selon la Loi concernant le transport rémunéré de personnes par automobile, le covoiturage n’est pas considéré «commercial» si le nombre de passagers dans le véhicule n’excède pas neuf. Un autre type de permis de conduire est alors nécessaire. 

Le transport de passagers ne doit pas non plus être la seule raison du déplacement. Le voyage se ferait donc avec ou sans eux. 

Une simple recherche sur Poparide, une entreprise de Vancouver qui propose un service de covoiturage dans tout le Canada, permet toutefois de constater que des automobilistes effectuent des allers-retours dans la même journée, entre Montréal et Québec notamment, avec très peu de temps entre les deux trajets et parfois, plusieurs fois par semaine. 

Un conducteur en partance de Montréal à 19h offre trois places dans sa voiture à destination de Québec. Il demande 38$ à chaque passager. À 22h, à peine trois heures après son départ donc, il refait le trajet en sens inverse. 

Cette mécanique se répète jeudi, vendredi, samedi et dimanche. 

«Le but n’est pas de faire en sorte que les chauffeurs fassent de l’argent avec le covoiturage, commente Marc-Olivier Vachon. Ce n’est pas un revenu pour les conducteurs, mais bien un partage de frais.» 

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La compensation financière ne doit pas excéder le montant réellement engagé, selon la loi. Le chauffeur peut ainsi demander une indemnité maximale de 0,54 $ par kilomètre parcouru en plus d’une participation aux frais de stationnement ou de péage routier. 

Et que se passe-t-il avec les contrevenants? 

«Quand on constate qu’une personne fait du covoiturage commercial, on les avertit pour comprendre la situation. S’ils continuent, on les suspend. Ensuite, on les bannit, puis on s’assure qu’ils ne se réinscrivent pas sous un autre nom», affirme le PDG d’Amigo Express. 

«Mais ce qu’ils finissent par faire, c’est offrir leur service sur Marketplace», déplore-t-il. 

L’autobus coûte cher

Selon Marc-Olivier Vachon, ce sont des raisons économiques qui feraient augmenter la popularité du covoiturage, bien plus que celles environnementales. 

Les billets d’autobus ne sont pas donnés. À l’heure actuelle, il faut débourser 151$ pour un aller-retour entre Montréal et Québec avec Orléans Express, 242$ entre Montréal et Alma, puis 408$ pour aller et revenir de Sept-Îles depuis la métropole. 

«La réalité des transporteurs a beaucoup changé depuis la pandémie. Les opérateurs de transport interurbain font face à de nombreux défis, notamment en matière de main-d’œuvre», a répondu par courriel Keolis Canada, le groupe dont fait partie Orléans Express. 

«Plusieurs régions du Québec ont retrouvé une couverture similaire au niveau prépandémique, notamment celles du Bas Saint-Laurent et de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. De nouvelles routes ont également été ajoutées, comme le tronçon Montréal-Ottawa [qui était autrefois assuré par une autre compagnie].» 

Si les lignes ont été reprises à 95% depuis la pandémie, la fréquence des voyages demeure moindre qu’en 2019, selon la Fédération des transporteurs par autobus. 

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À défaut d’obtenir un service de transport interurbain efficace et abordable, les voyageurs assurent de plus en plus leurs déplacements avec le covoiturage. 

«On craignait que les gens qui avaient délaissé le covoiturage pendant la pandémie n’y reviennent pas, au contraire. La demande a même augmenté», confirme Marc-Olivier Vachon d’Amigo Express. 

Et avec la hausse fulgurante du coût de la vie, certains automobilistes ont peut-être trouvé un moyen d’arrondir les fins de mois en comblant le vide dans le service de transport entre les régions. 

«Chaque fois que le prix de l’essence augmente, on constate une hausse de l’offre de transport, poursuit-il. Nos utilisateurs sont plutôt éconologiques. Ça fait une bonne différence pour un conducteur de pouvoir payer son essence avec le covoiturage et pour les passagers, c’est le mode de transport le plus économique.» 

L’avenir du transport interurbain?

«Le transport interurbain et le covoiturage sont des substituts, des vases communicants. Ça a toujours été des compétiteurs indirects parce qu’ils n’offrent pas le même service», souligne le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche. 

«Les entreprises d’autobus n’aiment pas avoir ce genre de compétiteur. Le coût marginal d’embarquer quelqu’un dans sa voiture est très faible. Mais offrir un service de transport par autobus, c’est extrêmement cher», assure-t-il. 

• À lire aussi: Il faudrait baisser le salaire des chauffeurs d'autobus, croit l’Institut économique de Montréal

Et contrairement aux déplacements en transport en commun, ceux effectués entre régions ne sont pas subventionnés par Québec. 

«Si on était dans un libre marché, il n’y aurait peut-être juste pas de transport interurbain au Québec. C’est un marché qui n'est pas payant et qui coûte cher», indique le professeur Meloche. 

«Une des techniques pour s’assurer qu’il y ait encore du transport est de créer un monopole avec la réglementation. Plutôt qu’une subvention, on offre un monopole et une garantie de clientèle», résume-t-il. 

Dans ce contexte, le covoiturage serait-il l’avenir du transport interurbain? 

«Soit les plateformes de covoiturage deviennent un problème, parce qu’elles menacent illégalement le transport par autobus, soit on encadre ce service qui existe déjà pour en faire des partenaires dans le transport interurbain», affirme M. Meloche. 

Le gouvernement pourrait ainsi fournir des flottes de camionnettes, créer une nouvelle classe de permis de conduire et garantir un salaire pour la disponibilité des chauffeurs. 

«Ce n’est pas impossible que ces solutions soient celles de l’avenir, dans la mesure où les plateformes de covoiturage existent, sont concurrentielle et organisées», conclut le spécialiste. 

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