Aide aux entreprises: une facture de près de 4 milliards $ sur dix ans
Québec doit emprunter toujours plus, chaque année, pour financer ces largesses


Sylvain Larocque
Tout près de 3,8 milliards $. C’est ce qu’ont coûté aux contribuables, ces dix dernières années, les généreuses aides financières accordées par le ministère de l’Économie (MEIE) aux entreprises québécoises, révèlent des calculs inédits du Journal.
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Et on n’a encore rien vu: la facture ne fera qu’augmenter avec les centaines de millions de dollars allongés par le gouvernement Legault au cours des derniers mois, surtout pour attirer des acteurs de la filière des batteries pour véhicules électriques.
Une part importante des coûts de 3,8 milliards $ est liée à la perte de 1,3 milliard $ subie par Québec avec son investissement dans le programme d’avions C Series de Bombardier. Effectué par le gouvernement Couillard en 2016, le placement a été complètement radié des comptes de l’État en 2020 et en 2021.

Plus de 13 G$ en aides de toutes sortes
De 2013 à 2023, le MEIE a accordé plus de 13 milliards $ en aide financière aux entreprises – principalement des prêts, des investissements en capital-actions et des subventions, selon des données compilées par Le Journal. Ces interventions ont engendré des dépenses nettes de près de 3,8 milliards $ pour le gouvernement.
Cette facture comprend notamment les prêts et les placements perdus lorsque des entreprises deviennent insolvables, les honoraires versés par le gouvernement à Investissement Québec pour la gestion des dossiers, le coût des intérêts préférentiels consentis aux entreprises ainsi que la valeur des subventions versées (plus de 165 millions $ l’an dernier seulement).
«Un tiers des prêts [du MEIE aux entreprises] est sans intérêt, donc ils perdent déjà un montant là-dessus», souligne Saidatou Dicko, professeure de sciences comptables à l’UQAM.

Où l’argent a-t-il été perdu?
Sauf pour quelques exceptions, il est impossible de savoir dans quelles entreprises le gouvernement a perdu de l’argent. Le MEIE refuse systématiquement de divulguer ces informations au nom de la confidentialité des dossiers. Une situation que déplore Mme Dicko.
«De manière générale, je pense que nos gouvernements devraient être plus transparents, surtout lorsqu’on a un gouvernement qui s’affiche clairement pour l’économie, qui veut vraiment aider plus les entreprises et qui veut apporter plus d’investissements», affirme-t-elle.
S’il dévoilait ses bons et ses moins bons coups en matière d’aide aux entreprises, le gouvernement serait mieux à même «d’éviter de répéter les mêmes schémas décisionnels [défectueux], les mêmes façons d’investir», note l’experte en gouvernance.
«Les chèques en blanc aux entreprises, je pense que c’est une époque révolue», ajoute-t-elle. Malheureusement, c’est souvent ça qui arrive: on donne de l’argent, mais on n’exige pas grand-chose en retour.»
Au 31 mars 2023, le MEIE détenait pour environ 6,8 milliards $ en investissements dans des entreprises, soit 2,4 fois plus que dix ans plus tôt.
«Ça ne tombe pas du ciel!»
Pour financer toutes ces aides financières, le gouvernement doit, chaque année, emprunter des fonds auprès d’investisseurs. En 10 ans, les dettes à long terme du Fonds du développement économique (FDE), le principal outil d’intervention du MEIE, sont passées de 2,1 milliards $ à 6,1 milliards $, un bond de 189 %.
«Ces dettes-là, eh bien, ça vient directement des coffres de l’État, souligne Saidatou Dicko. Cet argent-là, ça ne tombe pas du ciel!»
L’an dernier, le taux d’intérêt moyen des prêts accordés aux entreprises par le gouvernement s’élevait à tout juste 2,08%, comme l’avait relevé Le Journal. Or, Québec empruntait alors à un taux moyen de 3,06%.
Tout indique que les coûts de l’aide publique aux entreprises continueront de monter en flèche au cours des prochaines années. Le gouvernement a pris d’importants engagements financiers au cours des derniers mois, ce à quoi il faut ajouter l’impact de la hausse marquée des taux d’intérêt, le risque d’une récession et le coût croissant des prêts en partie «pardonnables».
L’an dernier, les «clauses libératoires» de ces prêts, lancées en 2019 par le gouvernement caquiste, ont coûté 76 millions $ à l’État, contre 51 millions $ en 2021-2022.
Les plus grands bénéficiaires depuis 2013
1. Bombardier/Airbus 2,3 G$ (incluant l’aide aux clients)
2. Kruger 626 M$

3. Éthanol cellulosique Varennes 365 M$
4. Ciment McInnis 350 M$
5. Chantier Davie 310 M$
6. Garda World 300 M$
7. CAE 228 M$
8. Produits forestiers Résolu 224 M$
9. Nemaska Lithium 195 M$
10. Kraft Nordic 184 M$
De grosses aides récentes
1. Northvolt 1,37 G$
2. Chantier Davie 519 M$
3. Ford/EcoProB/SK On 322 M$
4. General Motors/POSCO Future M 152 M$
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