Agressions sexuelles dans l’armée: «L’armée canadienne voulait ma tête» – Stéphanie Raymond

Frédérique De Simone
L’ex-caporale-cheffe des Forces armées canadiennes Stéphanie Raymond a obtenu justice en 2021 face à son agresseur, l’ancien adjudant André Gagnon, après 10 ans de lutte, de procédures houleuses, d’enquête bâclée et de procès en cour martiale, à la Cour d’appel et en Cour suprême.
Aujourd’hui sereine face à cette histoire, l’ancienne militaire a accepté de se livrer en toute franchise à la réalisatrice Gaëlle d’Ynglemare pour le documentaire Agression armée qui retrace ses déboires avec les Forces, disponible sur Vrai dès ce mardi.
Au cours de ces 90 minutes, dont certains passages sont frappants, voire révoltants, Stéphanie Raymond, ainsi que d’autres victimes qui ont accepté de se livrer, se réapproprie son histoire et lève le voile sur la culture de banalisation des comportements sexuels répréhensibles qui prévaut au sein de l’armée canadienne, tout comme cette loi du silence qui existe pour le «soi-disant bien de la troupe».
«Dénoncer publiquement dans les médias, c’était mon dernier recours», a rappelé Stéphanie Raymond lors d’une entrevue avec l’Agence QMI. C’est en sortant cette carte joker de sa manche qu’elle a vu sa cause être prise au sérieux, en plus de donner le coup d’envoi à des enquêtes journalistiques qui ont éclaboussé les Forces, notamment dans la revue L’Actualité.
À l'époque de ses premières sorties dans les médias, sous le couvert de l'anonymat, l'Armée canadienne l'avait reconnue malgré l'usage d'un pseudonyme. «J'ai eu tout de suite une mesure disciplinaire. [...] C'était une urgence nationale. J'avais les Forces armées canadiennes qui voulaient ma tête», raconte-t-elle dans le documentaire.

«L’armée fait beaucoup de choses pour essayer de changer la culture, mais ce sont des coups d’épée dans l’eau», croit l’ex-militaire.
«L’impunité est encore bien présente. Ce n’est pas vrai que les cas d’agression sont automatiquement transférés à la justice criminelle civile. C’est encore la police militaire, et souvent, encore la cour martiale. Toutes les personnes qui aident au crime, au camouflage et aux représailles, sont toujours impunies», a-t-elle ajouté, soulignant que dans son histoire, personne, à l’exception de l’adjudant, n’a été tenu responsable pour l’intimidation et les humiliations qu’elle a subies à la suite de sa dénonciation.
«Au-delà de tout ça, je ne garde aucune frustration parce que j’ai la chance de trouver que mon histoire s’est bien finie. Le fait que ce soit su publiquement, pour moi ça veut tout dire», a-t-elle poursuivi.
Retour sur l’événement
Le 15 décembre 2011, après un party de Noël arrosé entre militaires, le supérieur de Mme Raymond lui a demandé de le suivre au mess des officiers pour discuter, mais l’homme avait d’autres plans en tête...
Pendant deux semaines, l’ex-militaire a hésité à porter plainte. Lorsqu’elle s’est finalement décidée s’en sont suivi une descente aux enfers et des représailles de toutes sortes. Se résignant au bout de deux ans à demander la permission pour quitter les Forces, c’est finalement un congédiement avec blâme dans le déshonneur qui lui aura été accordé.
Elle a ainsi perdu sa carrière, son réseau social et sa réputation. Encore aujourd’hui, elle dit souffrir de fatigue chronique, de pertes de mémoire à court terme et de difficultés de concentration.

Le livre
L’ex-caporale-cheffe qui mène dorénavant une vie paisible au civil a été approchée par les Éditions de l’Homme, il y a un peu plus d’un an, pour publier son histoire.
«J’ai tout de suite été d’accord. J’ai toujours voulu écrire un livre avec cette histoire-là, mais on dirait que je n’avais pas le courage ni l’énergie de me replonger là-dedans encore», a-t-elle avoué. Cependant, le fait d’avoir collaboré avec la journaliste Claudie Coté, qui a couvert une partie des procédures judiciaires, lui a enlevé un poids considérable de sur les épaules, a-t-elle dit.
«Je suis assez satisfaite du résultat. Le livre est assez facile à lire pour le commun des mortels, il est bien vulgarisé et je pense que ça peut intéresser tous les âges», a-t-elle conclu.

Agression armée est disponible sur Vrai dès mardi.
Le livre Tu t’écriras NON dans le front arrivera dans les étals mercredi.