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L'article provient de Le Journal de Québec
Politique

Affaire Elghawaby: quand la nuance fout le camp

Photo d'archives, Agence QMI
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Photo portrait de Josée Legault

Josée Legault

2023-02-01T05:00:00Z
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La nomination d’Amira Elghawaby par le gouvernement Trudeau au poste de «représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie» fait controverse. C’était pourtant écrit dans le ciel.

D’après l’ensemble de ses écrits des dernières années, l’opinion qu’elle a exprimée d’une majorité de Québécois est en effet pétrie des pires préjugés qui soient. Le tout, enroulé dans une ignorance évidente de leur société.

En 2019, cette phrase extraite d’un texte qu’elle a cosigné dans le Ottawa Citizen – le résumait sans équivoque : «Malheureusement, la majorité des Québécois semble être influencée non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman».

Pesons bien ses mots. Ils sont porteurs d’une lourde accusation. Celle d’une islamophobie généralisée au Québec. Fortement critiquée, incluant par le ministre Pablo Rodriguez, lieutenant québécois de Justin Trudeau, sous haute pression, elle a tenté de rectifier le tir.

Vendredi, sur Twitter, elle a écrit : «Je ne crois pas que les Québécois sont islamophobes ; mes commentaires passés faisaient référence à un sondage au sujet de la loi 21 (sur la laïcité). Je travaillerai avec les partenaires de toutes les provinces et régions pour m’assurer que nous combattons directement le racisme».

Le premier problème est qu’en 2019, Mme Elghawaby avait tronqué les résultats du sondage en question. Le second est que son dernier gazouillis contredit l’ensemble de son œuvre sur le sujet. Si elle a réellement changé d’idée à ce point, elle doit s’en expliquer publiquement.

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Le vrai fond de sa pensée

Sur le plan politique, Justin Trudeau défend sa nomination sans broncher. François Legault exige sa démission et accuse M. Trudeau de «cautionner» le mépris envers le Québec.

Entre les deux, le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, doit rencontrer Mme Elghawaby ce mercredi pour connaître le vrai fond de sa pensée.

C’est important parce que le très long mandat officiel de Mme Elghawaby lui confère plusieurs missions délicates, dont celle de soutenir les efforts de lutte contre le racisme systémique et l’islamophobie par l’éducation et la sensibilisation du public tout en combattant les préjugés et les stéréotypes.

En ce pays comme ailleurs, il existe des manifestations d’islamophobie. Mais de dire comme elle l’a fait qu’au Canada, une «majorité» de Québécois semble influencée par un «sentiment antimusulman», rien n’est plus faux.

Comment pourra-t-elle combattre des préjugés contre les Canadiens de confession musulmane alors qu’elle en a souvent exprimé elle-même à propos d’une «majorité» de Québécois? Sa référence visant plus spécifiquement, si on la comprend bien, les francophones.

La lente agonie de la nuance

Ses déclarations passées participent aussi d’une tendance inquiétante plus large. Celle d’une lente agonie de la nuance et du respect dans les débats publics.

Entre autres sur les médias dits sociaux, en réaction à un point de vue contraire au nôtre, que celui qui ne verse jamais dans le préjugé, la généralisation outrancière ou même l’insulte, lance la première pierre.

C’est aussi vrai pour la loi 21. Qu’on soit pour ou contre, combien, élus et citoyens, sont capables d’en discuter sans basculer dans les procès d’intention mutuels?

Dans ses nouvelles fonctions, Mme Elghawaby ne peut faire semblant non plus qu’elle n’a pas contribué à disséminer de graves préjugés contre une part importante de ses concitoyens.

Elle serait sûrement sage de lire Le courage de la nuance, ce brillant essai de Jean Birnbaum, paru aux Éditions du Seuil et lauréat du prestigieux Prix François-Mauriac 2021.

«Dans le brouhaha des évidences, écrit-il, il n’y a pas plus radical que la nuance»...

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