Acheteurs de maisons cash agressifs
Un fils en deuil reçoit des offres pour la résidence de sa mère décédée sans qu’elle soit mise en vente


Julien McEvoy
Depuis que sa mère est morte en novembre, Thierry Moutier a découvert un aspect méconnu de la folie immobilière du moment : les investisseurs agressifs.
Avec sa sœur et son frère, l’homme de 56 ans est passé chez le notaire au début du mois de février pour régler la question du testament. Quelques jours plus tard, ils étaient propriétaires du bungalow de Longueuil dans lequel ils ont grandi.
Le téléphone s’est alors mis à sonner. Plus d’un mois plus tard, il sonne toujours.
« La première journée, j’ai reçu quatre appels de la part d’entrepreneurs qui voulaient acheter la maison cash. Ma sœur et mon frère ont aussi reçu des appels », raconte M. Moutier, qui ne répond simplement plus au téléphone chez lui.
Sous le prix du marché
Fait à souligner : la maison n’était – et n’est toujours – pas en vente. « Ils m’offraient 175 000 $, ce qui est bien en dessous de l’évaluation foncière », ajoute-t-il. Le bungalow de trois chambres construit en 1970 et situé près de l’hôpital Pierre-Boucher vaut 247 000 $ selon le rôle foncier.
« C’est un quartier paisible très recherché et bien situé, la maison pourrait se vendre facilement 340 000 $, voire 380 000 $ », assure Christian Arcand, un courtier immobilier ayant 20 ans d’expérience dans le secteur.
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Alerte maximale
Le secret de la rapidité de ces investisseurs réside dans la déclaration de transmission, révèle le notaire Benoit Prud’Homme, du cabinet Novallier.
« C’est le document qui valide le transfert de propriété. Les entrepreneurs et les courtiers reçoivent une alerte de la part du service JLR Solutions dès que la déclaration est soumise », explique-t-il.
Les noms, adresses et numéros de téléphone des héritiers figurent notamment sur cette fameuse déclaration. « On a reçu au moins 10 à 15 offres par la poste, en plus des appels », expose Thierry Moutier.
Des investisseurs comme Solution Jeanty ou Immo-Solution envoient des lettres qui se ressemblent. « Nous vous offrons d’acheter la propriété sans délai », écrivent-ils entre autres.
Mais ils ne se contentent pas d’appeler ou d’écrire, ils cognent aussi à la porte. « Un dimanche en fin d’après-midi, deux jeunes hommes début trentaine sont venus chez moi pour m’offrir d’acheter la maison de ma mère », raconte M. Moutier.
Ils offraient 175 000 $ eux aussi et prévoyaient investir 150 000 $ dans les rénovations, ont-ils expliqué, afin de la revendre ensuite et de faire un profit d’au moins 20 000 $.
« Donc je te vends ma maison sous le prix du marché pour que tu fasses des sous avec ? Euh, allo ?! » s’étonne encore M. Moutier, qui a refusé l’offre.
« Si des gens comme ça trouvent une proie facile, par exemple une personne âgée comme ma mère, c’est sûr qu’elle serait tombée dans le panneau, elle aurait vendu la maison et ça aurait été fini. C’est ça qui est inquiétant », pense-t-il.
La situation ne date pas d’hier à Longueuil. La mairesse Sylvie Parent a d’ailleurs voulu mettre fin au Far West en imposant un gel des démolitions de bungalow, en novembre, après avoir constaté leur « hausse exponentielle ».
Le modus operandi est simple. Des investisseurs – parfois les mêmes qui ont contacté la famille Moutier – achètent des maisons, les démolissent, puis bâtissent des immeubles à logement, des « plex », à leur place.
« On veut maintenant encadrer les demandes de démolition et les reconstructions », dit la mairesse.
- Écoutez la chronique de Félix Séguin au micro de Richard Martineau sur QUB radio:
Un marché fou
Mme Parent constate par ailleurs que le marché immobilier dans sa ville « est complètement fou », surtout depuis le début de la pandémie. « Ça va devenir un problème. La valeur de toutes les maisons qui se vendent 50 000 $ ou 75 000 $ de plus que le prix affiché va augmenter lors du prochain rôle foncier », explique-t-elle.
« On a tiré la sonnette d’alarme en novembre, mais on ne peut rien faire contre la spéculation en cours », constate Mme Parent.