Accepteriez-vous que votre salaire soit public?


Daniel Germain
À un certain âge se multiplient les signes qu’on ne suit plus tout à fait la parade. Mes tentatives de m’intéresser à TikTok, par exemple, sont une pure perte de temps. J’ai abandonné. Et quand les frasques d’un influenceur de renom se frayent un chemin dans l’actualité, c’est comme si la nouvelle me provenait de Tombouctou.
Une récente histoire tirée des pages économiques de La Presse a suscité chez moi ce même sentiment d’être dépassé. Une jeune entreprise, menée par un jeune entrepreneur, a décidé d’afficher la paie de tous ses employés pour assurer une meilleure équité salariale.
Je viens de surmonter ma p’tite gêne à suspendre mes caleçons sur la corde à linge, mais je ne suis pas encore à l’aise avec l’idée de voir mon salaire exposé sur l’intranet de mon employeur.
J’accuse un retard sur la parade, disais-je, car le salaire relève selon moi de la sphère privée tandis que la transparence sur la question devient une tendance appelée à prendre de l’ampleur.
Des enquêtes ont démontré que de telles pratiques favorisent effectivement une réduction des écarts salariaux. L’équité, peut-on vraiment se mettre en travers de ce principe aujourd’hui, même au nom de la pudeur et de la confidentialité ?
Heureusement, cet objectif semble atteignable sans connaître la couleur des bobettes de ses collègues.
Une nouvelle loi canadienne
Tenez, le Canada vient de jeter le dernier jalon à sa Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Depuis mercredi dernier, le 1er juin, les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale doivent divulguer dans un rapport annuel les écarts salariaux qui affectent les femmes, les membres des communautés visibles, les personnes en situation de handicap et les Autochtones. On parle ici de données agrégées, les informations individuelles demeurent donc confidentielles.
Parmi les entreprises concernées, on trouve entre autres les banques, les transporteurs aériens, les sociétés d’État fédérales, les télécoms. Ces employeurs devront faire connaître les écarts salariaux entre les taux horaires, les écarts de primes, les écarts de rémunérations des heures supplémentaires et les écarts des heures supplémentaires travaillées.
Ce sera gênant de publiciser d’importantes disparités salariales entre certains groupes spécifiques. Les nouvelles exigences fédérales révéleront probablement des injustices, les travailleurs lésés y trouveront les arguments pour réclamer des mises à niveau. C’est le but.
Ç’a beau englober de grandes organisations très visibles, seule une faible proportion des emplois du secteur privé sont touchés. Cependant, d’autres grosses entreprises qui échappent à la réglementation fédérale pourraient sentir la nécessité d’emboîter le pas, qui seront à leur tour imitées par des sociétés de moindre taille.
La transparence salariale, c’est un des sujets chauds dans le monde des ressources humaines. C’est ce qui a mené une PME dans le vent à pousser le concept aussi loin que de divulguer la rémunération de chaque individu.
Vers des principes de rémunération clairs
Marc Chartrand, comme moi, trouve ça exagéré.
Lui non plus n’est plus une jeunesse, il faut dire. Le conseiller en ressources humaines (CRHA) se souvient de Nortel, il y a plus de 20 ans, qui avait mis en place une politique du genre, « quand l’argent coulait comme de l’eau ». Apparemment, ç’a semblé une moins bonne idée le jour où le bateau s’est mis à prendre l’eau.
Pour faire preuve de transparence, les entreprises n’ont pas besoin de révéler combien gagne tout un chacun, selon l’expert, ni de faire de rapports comme l’exige le fédéral aux sociétés sous juridiction.
« En fait, on doit communiquer ses échelles salariales aux employés, détailler les principes derrière l’attribution des primes et expliquer les attentes de l’organisation pour recevoir une meilleure rémunération », énumère le spécialiste.
C’est plus facile à dire qu’à faire, reconnaît Marc Chartrand. Pour communiquer sa politique, toujours faut-il en avoir une. Chez les PME, c’est plutôt l’improvisation, ce qui génère des incohérences et des disparités. C’est long et pénible pour elles de remettre de l’ordre.
Même dans les entreprises mieux organisées, c’est un défi, particulièrement dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.
« Parfois, pour pourvoir un poste, un entrepreneur n’a pas le choix de consentir un 10 000 dollars de plus que le top de son échelle, ce qui crée une iniquité pour les employés avec de l’ancienneté. »
Une entreprise qui fait bien les choses s’arrangerait pour relever l’échelle salariale et de mettre les anciens à niveaux, et ce, rapidement (12 à 24 mois), selon Marc Chartrand.
C’est pour ça que la transparence salariale, c’est plus souvent un dada de RH que de patrons...
OFFRE D’EMPLOI ET SALAIRE « MYSTÈRE »
Avez-vous remarqué les formules utilisées pour décrire la rémunération dans les offres d’emploi ? Comment dire... c’est vague. « Salaire concurrentiel », « selon l’expérience », « conforme au marché », « avantageux ». Résultat : ce n’est qu’à la fin du processus d’embauche qu’on saura combien on sera payé !
Certaines juridictions obligent désormais les employeurs à indiquer une échelle salariale dans leurs offres d’emploi. Au Canada, la première province à le faire est l’Île-du-Prince-Édouard, et ce, depuis le 1er juin. Voyons si l’idée fera des petits.