5 questions à Jean-Philippe Duval, réalisateur des Armes


Emmanuelle Plante
Jean-Philippe Duval approche ses personnages comme lorsqu’il fait du documentaire, avec beaucoup d’humanité.
Dès ses débuts, il multiplie les rencontres au gré de projets (École de danse, Marché Jean-Talon, Martin sur la route) qui le mènent à investir différents milieux. Il n’a jamais peur d’explorer de nouvelles formes comme il l’a fait avec États-humains.
Au cinéma, on lui doit Matroni et moi, Dédé, à travers la brume, La chasse-galerie, 14 jours, 12 nuits.
Reconnu pour sa direction d’acteurs, il n’était pas étonnant que la télé l’appelle.
On lui confie la réalisation d’Unité 9. Toute la vie, À cœur battant, les saisons 2 et 3 de Doute raisonnable suivront.
Pour chacun des projets qu’il réalise, il prend le temps de s’imprégner du milieu qu’il dépeint.
L’armée a teinté l’histoire de la famille Duval, son grand-père ayant fait la Deuxième Guerre mondiale. Jean-Philippe a plongé dans Les Armes avec une curiosité supplémentaire. C’est un voyage au cœur de l’Armée canadienne auprès de personnages dont les enjeux sont aussi sensibles que secrets lorsque l’un d’eux soudainement disparaît.

Quand on pense à l’armée, on pense à des scènes d’action avec beaucoup de monde. C’est possible de faire ça avec les moyens de la télé québécoise ?
C’est très ambitieux, mais c’est surtout une série sur les joutes de pouvoir. Nous sommes à l’intérieur de l’armée dans l’arrière-scène et non sur le terrain en Ukraine. Il aurait pu y avoir plus de camions, plus d’hélicoptères, mais on ne voulait pas faire du spectacle. On voulait simplement mettre le spectateur dans le bain. Pierre-Marc Drouin [l’auteur] a rapidement travaillé sur l’intimité des soldats. Il y a des scènes de cascades, de guns, mais toujours du point de vue des personnages. Même avec une grosse chorégraphie, on ne doit pas déshumaniser un personnage, oublier son intention. Il est où, qu’est-ce qui se passe... Rien n’est filmé au hasard. Ensuite, j’ai voulu donner un look très cinématographique avec une musique plus orchestrale.
C’est un milieu qui nous apparaît plutôt dur. Comment t’y es-tu pris pour le représenter avec réalisme ?
Dans la série, on suit différents corps de métier, l’infanterie, des soldats d’élite. On a suivi, les acteurs et moi, un camp d’entraînement. On s’est fait savonner les oreilles, traiter de sauce. On a vu la rigueur derrière ça. On a suivi des cours de drille, de maniement d’armes. Sans être coachés, on pouvait bénéficier de conseils de militaires à la retraite qui ont aussi participé à certaines scènes.
Des façons de diriger semblent s’affronter dans la série. Est-ce quelque chose que tu as observé au fil de tes formations ?
L’armée a beaucoup évolué. Jenny Carignan (première femme à diriger une armée) en est la preuve. C’est justement une de nos trames. Le lieutenant Savard (Vincent-Guillaume Otis) vient moderniser certaines méthodes. Il se bute aux façons de faire plus anciennes du colonel Craig (François Papineau). Ça fait beaucoup réfléchir. C’est très délicat comme sujet. On touche au politique, aux normes du travail. Les Armes n’est pas une fiction calquée sur une réalité immédiate, mais ces groupes paramilitaires existent. On n’a qu’à penser au groupe Wagner en Russie. Je dois saluer l’auteur [Pierre-Marc Drouin], Fabienne [Larouche], Michel [Trudeau] et les gens à TVA qui ont osé ancrer ça dans une réalité politique mondiale actuelle.
Tu retrouves des acteurs que tu as déjà dirigés. Cette fidélité est-elle importante ?
Bâtir un casting est une job importante. Il y a une confiance qui s’établit. Je travaille avec Ève Landry depuis Dédé, à travers les brumes. Je lui ai donné son premier rôle à la télé dans Unité 9. J’ai fait la Chasse-Galerie avec Vincent-Guillaume---- Otis. Il y a une complicité et une humanité qui sont là. Et j’aime toujours découvrir de nouveaux visages.
Quel a été le plus gros défi de cette production et pourquoi a-t-elle sa place en 2024 ?
Je travaille avec les meilleurs comédiens, mais c’est difficile pour eux comme pour moi de se retrouver dans certaines situations dehors, avec de l’équipement militaire, par une grande chaleur et d’imaginer que ta vie peut être en danger pour vrai. Dans les champs de pratique, des militaires mettent en scène de vraies situations de combat. On avait des sueurs froides. Ça entraînait un épuisement certain. J’ai des amis journalistes qui sont allés en Afghanistan pour vrai. Je relativise beaucoup. C’est une série sur les forces obscures, sur le pouvoir. Ça me trouble beaucoup en tant que citoyen. Ça traduit le trouble de la société civile. Il y a une réflexion à avoir sur où on en est.
Les Armes, lundi 20 h à TVA