Lettre à mes filles et à mes fils: 32 ans après le pire jour de ma vie
Dominic, Léa-Marie, Romane et Michaël, je vous écris aujourd’hui pour que vous sachiez que vous êtes issus d’une lignée de femmes fortes et engagées.
Vous connaissez tous les quatre les grandes lignes de mon parcours, mais je doute que vous mesuriez l’importance qu’ont eue les femmes qui m’ont construite. Or, ces femmes ont inévitablement laissé des traces sur vous et forgé la matière dont vous êtes.
- Écoutez l’entrevue de Nathalie Provost, survivante des attentats de la polytechnique au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Des femmes inspirantes
Béatrice, la mère de ma mère, avait 12 ans lorsqu’elle a commencé à travailler. Elle savait lire, écrire et compter. Elle était débrouillarde et avait un caractère bien trempé. Ma grand-mère n’avait pas 20 ans et elle commerçait déjà. On parle du temps où les femmes n’avaient pas le droit de vote. Ma grand-mère était la gestionnaire derrière mon grand-père, le commerçant. Elle disait à ses filles : tirez-vous d’un rang. Elles l’ont toutes fait.

Denise, ma mère au foyer, était impliquée dans sa communauté. Marguillère, représentante au conseil d’école, présidente du Cercle des fermières, travailleuse aux élections, ma mère a fait une différence autour d’elle. J’ai vu le Québec évoluer dans mon assiette, dans les discussions à table, dans la foi en moi qu’elle avait. « Tu seras autonome, toi », est la phrase que j’ai entendue le plus souvent.
Lucie, la mère de votre père, m’a inspirée. Elle a élevé seule 6 enfants qui ont tous des études universitaires. Cette femme d’une intelligence remarquable et d’une intégrité à toute épreuve a, malgré des conditions de vie difficiles, transmis à ses enfants le goût d’apprendre et une grande résilience. Malgré mes études universitaires, je n’ai pas encore lu la moitié des œuvres qui l’intéressaient.
Nous sortons d’une année longue et dure. Une année au cours de laquelle je vous ai vus poursuivre votre chemin la tête haute remplie de rêve, malgré tout. Une année qui nous révèle que nous sommes vulnérables, que les inégalités sociales sont plus présentes que jamais, que la richesse collective diminue, que notre monde se crispe. Ces caractéristiques de notre monde expliquent, pour moi, l’augmentation des féminicides, la montée de la violence par armes à feu, l’envie de se protéger soi-même.
- Écoutez la chronique de Sophie Durocher au micro de Philippe-Vincent Foisy sur QUB Radio:
Je ne suis pas seule
Les femmes importantes de qui vous êtes issus ont traversé des époques difficiles et elles ont su avancer, toujours. D’ailleurs, je vois à travers vous, s’exprimer leurs talents : votre conscience du monde qui nous entoure, votre maturité devant les défis de la vie, votre débrouillardise pour faire votre chemin.
Votre génération me touche. Vous êtes capables de remise en question. Vous êtes ouverts à la différence. Vous m’ouvrez les yeux. Vous réclamez, vous dénoncez. Vous n’avez pas toujours raison, vous n’êtes pas des anges, mais grâce à vous, je ne me sens plus seule quand je milite et que je m’engage. Vous avez rejoint les femmes de ma génération en 2014 avec
#beenrapedneverreported, vous avez été présents en 2019 avec #metoo. Vous marchez pour le climat. Grâce à vous, je me sens moins seule quand je milite et que je m’engage. Grâce à vous, je crois qu’il est possible que nous avancions encore.
Il faut que vos enfants, comme votre père, puissent réaliser leurs rêves, même s’ils ne naissent pas privilégiés.
Il faut que vos enfants puissent comme moi, comme vous j’espère, croire que toutes les portes sont ouvertes devant eux.
Il faut que vos enfants puissent grandir en sécurité à Montréal, partout au Québec ou au Canada.
32 ans après le pire jour de ma vie, vous êtes à mes côtés. Je ne suis pas seule, vous avancez avec moi et me devancez souvent.
Je vais continuer à faire du mieux que je peux, pour vous, avec vous. Utilisez votre voix, faites-vous entendre. Vous êtes nécessaires.
Nathalie Provost, M. Ing, M.B.
Survivante du féminicide de Polytechnique, porte-parole de PolySeSouvient et marraine de l’Ordre de la Rose blanche de Polytechnique