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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

30 ans de J.E: l’histoire d’une grande émission d’actualités

Sur le terrain pour les citoyens

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Photo portrait de Sarah-Émilie Nault

Sarah-Émilie Nault

2022-10-01T04:00:00Z
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L’émission d’affaires publiques entre cette année dans sa 30e saison. Depuis le mythique duo formé de Jocelyne Cazin et Gaétan Girouard ayant présenté le tout premier épisode de J.E le 5 septembre 1993 jusqu’à l’arrivée du journaliste Félix Séguin, il s’en est passé des choses! Quatre animateurs racontent des souvenirs de leur époque à la barre de cette émission initialement conçue pour venir en aide aux citoyens.

• À lire aussi: À la barre de la 30e saison de J.E: Félix Séguin est «accro à l’action»

Jocelyne Cazin

DE 1993 À 2001

Photo Chantal Poirier
Photo Chantal Poirier

La genèse, le journalisme de rue

Il y a peu de journées qui passent sans que Jocelyne Cazin se fasse parler de J.E «Les gens m’identifient encore à J.E. Même 21 ans plus tard, on me parle encore très souvent de cette émission», explique la conférencière et autrice qui s’apprête à lancer son premier roman : un polar politico-policier alliant réalité d’une journaliste d’enquête et fiction. 

À 71 ans, celle qui fut la première femme aux faits divers à la radio se souvient comme si c’était hier de la naissance de J.E (qui n’était alors qu’un titre de travail signifiant «journal électronique»). C’était en 1993 et après avoir animé les nouvelles pendant quatre ans à Salut bonjour, elle s’est retrouvée dans un bureau avec Gaétan Girouard qui discutait avec un patron d’une nouvelle émission visant à remplacer 911

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  • Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin diffusé chaque jour en direct 8 h 35 via QUB radio :

«Tout l’été, on a brainstormé, on a bâti une petite équipe et on a eu envie de faire du street story, donc un peu de tout en sortant dehors avec la caméra à l’épaule du caméraman, une première au Québec. C’était notre idée première.»

Les deux premières histoires qu’elle a couvertes pour J.E ? Une querelle de voisins pour une histoire de clôture et les fraudes d’un entrepreneur qui empochait l’argent des clients sans jamais effectuer le travail. C’est en captant les images de ce dernier qui tentait de fuir comme un lion en cage qu’est née la formule J.E.  

«Le logo de J.E est devenu tellement puissant et il l’est encore aujourd’hui», explique l’ancienne animatrice que l’on surnommait le pitbull de l’information. Elle explique que c’est la journaliste Louise Cousineau qui, quelques mois plus tard, avait d’abord écrit J.E pour «journalisme efficace», puis J.E pour «journalisme d’enquête». 

Ayant fait trop de bons coups pour pouvoir tous les nommer, Jocelyne Cazin affirme que c’est le fait d’avoir travaillé et côtoyé le regretté Gaétan Girouard qui reste son plus beau souvenir.  

«C’était un homme d’une grande intelligence et très sympathique, j’étais comme sa grande sœur, raconte celle qui avait 15 ans de différence avec son complice qui s’est enlevé la vie à l’âge de 33 ans. Nous avions une belle complicité, on se respectait tellement tous les deux!»

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«J’ai connu le meilleur et le pire avec J.E», poursuit celle qui s’est déjà fait cracher au visage, qui a reçu son lot de menaces de mort et a même figuré sur la liste de personnes à abattre d’un gang de motards.

«Nous avions 250 poursuites quand j’ai quitté J.E, mais très peu sont allées en justice. Cela stressait beaucoup Gaétan, qui était insécure et perfectionniste, j’en parle d’ailleurs plus longuement dans mon livre Ma véritable identité. Je dois avouer que de 1998 à la fin, je regardais souvent sous mon auto.»

Sa fierté se trouve dans toutes ces fois où ils ont pu aider des victimes, des gens démunis, parfois un peu naïfs, et souvent âgés. Ces moments où ils se sont sentis utiles en aidant des victimes à se défendre contre des individus, des entrepreneurs, mais aussi parfois contre des institutions, comme des banques. 

Son époque est celle qui a «carrément mis J.E sur la carte», dit-elle. «Cela ne s’était jamais vu au Québec, une émission avec caméra à l’épaule dans laquelle des journalistes allaient vers les autres pour avoir des réponses et aider les victimes à se sortir du pétrin.»

QUELQUES REPORTAGES MARQUANTS

Octobre 1998 : Enquête Pierre Bourque

Pierre Bourque, alors maire de Montréal, confronté au sujet d’un de ses candidats qui avait du mal avec la justice. «On était dans la rue pour le confronter. Il refusait de répondre à mes questions et avait même failli se faire renverser par une voiture, mais je l’avais retenu... Toute une histoire!», dit Jocelyne Cazin.

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▶ Septembre 2000 : Franchisés floués des centres Montignac

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

Le fameux monsieur «Plus je mange plus je maigris» avait offert à des gens d’affaires d’acheter des franchises Montignac à des prix allant jusqu’à 50 000 $ pour avoir l’exclusivité de tous ses produits, mais six mois plus tard, les produits se retrouvaient partout dans les grandes surfaces. «Je me souviens d’être allée le confronter à l’aéroport et qu’il se soit mis à courir avec son panier. Il m’avait même arraché mon micro, ce fut un grand moment de télé (rires).» 


Jocelyne Cazin offre des conférences sur la prévention du suicide. formax.qc.ca/portfolio/jocelyne-cazin-conferenciere/

La sortie de son roman Pire que l’éternité est prévue pour le 13 octobre

Elle a aussi publié deux autres livres : J’ose déranger et Ma véritable identité

Annie Gagnon

DE 2001 À 2013

Photo Chantal Poirier
Photo Chantal Poirier

Un virage consommation

Annie Gagnon est passée de journaliste prenant part à l’émission J.E pendant deux ans, avant le départ de Jocelyne Cazin, à coanimatrice en compagnie de Pierre Jobin et de Karina Marceau, à 37 ans, puis à un duo avec Karina Marceau... jusqu’à devenir animatrice solo de l’émission. Elle a ensuite fait la paire avec le journaliste et écrivain Michel Jean de 2004 jusqu’à son propre départ en 2013. 

«Quand on m’a demandé de faire partie de J.E, j’étais emballée, car j’aimais l’aspect judiciaire de l’émission, explique-t-elle. J’aimais aller répondre aux besoins de la veuve et de l’orphelin, défen-dre les droits de citoyens et aller buster [terme utilisé lorsqu’ils se rendaient confronter les gens] les méchants. J’aimais le thrill d’aller à la rencontre de la partie fautive dans l’histoire.» 

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«Tu ne savais jamais ce que serait la réaction des gens, poursuit-elle. Certains étaient super calmes et d’autres agressifs. Je me souviens d’une fois où mon caméraman a reçu un coup de sacoche sur la tête. Disons que quand tu réussissais à faire avouer, ou du moins à poser des questions à la personne, tu revenais content au bureau.»  

Si le virage consommation effectué durant cette période la rejoignait moins, en tant que journaliste, que le côté judiciaire qui la faisait vibrer, elle affirme toutefois que cette formule de l’émission a fait d’elle une consommatrice redoutable et beaucoup plus à l’affût. 

«Ce genre d’émission plus axée sur la consommation, les produits et les vendeurs servait énormément les gens en les informant sur des sujets ayant un impact direct sur leur vie quotidienne», précise-t-elle. 

L’animatrice de 58 ans ne peut, non plus, passer sous silence le stress constant vécu à cette époque, à cause des mises en demeure, des nombreuses heures d’attente, des filatures parfois dangereuses, des réactions imprévisibles des gens et de l’absence de marge d’erreur. Malgré tout, elle a accumulé une tonne de beaux souvenirs et de coups réussis. 

«Encore aujourd’hui je pense que ce sont des émissions nécessaires (J.E dans sa formule originale, qui aidait d’abord les citoyens) et je trouve dommage qu’on en fasse moins. L’idée de refaire J.E avec des saveurs plus contemporaines, selon moi, fonctionnerait bien.»

QUELQUES REPORTAGES MARQUANTS

Octobre 2008 et mars 2012 : Reportages sur les usines à chiots

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

Tous les reportages traitant des animaux et les visites dans les usines à chiots au fil de ses années d’animation. «Nous y sommes allés tellement souvent et les images des chiens laissés dans des conditions incroyables me restent en tête. Mon dernier bust était chez un propriétaire de chiens qui prétendait faire la reproduction de chiens de race. Il m’avait donné un coup de pied au derrière!» raconte Annie Gagnon. 

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On peut entendre Annie Gagnon à la radio. Elle travaille aussi sur un projet web dans le domaine musical. Elle a également publié, en 2014, le livre Enquêtes et en quête.

Paul Larocque

DE 2013 À 2018

Photo courtoisie TVA
Photo courtoisie TVA

Élargir le spectre en respectant l’ADN de J.E

Paul Larocque a vu comme un grand honneur le fait qu’on lui offre d’animer l’émission J.E, qu’il décrit comme une émission phare en affaires publiques au Québec.

«Je ne m’y attendais pas, car je suis plutôt spécialisé en politique, donc en partant, j’étais vraiment honoré et j’ai pris la responsabilité très au sérieux, raconte-t-il. C’était un mandat différent et j’ai beaucoup aimé cela. Si J.E a un impact [depuis] aussi longtemps, c’est que l’émission a su et pu évoluer dans le temps. Je crois que chacun des animateurs et animatrices y a mis la couleur qu’il voulait.» 

Pour le journaliste de 64 ans qui a fait ses premiers pas dans le métier en 1977, participer à cette émission était une occasion extraordinaire d’approfondir, sur le plan journalistique, des sujets qui l’avaient toujours intéressé. Sans toutefois dénaturer l’aspect «proche du citoyen» ni abandonner ce qui est le trait d’ADN de J.E et ce qui est resté à travers les années. «Débusquer et dénoncer des abuseurs.»

«On a simplement élargi le spectre, ajoute-t-il. J’ai vraiment mis ma touche personnelle et voulu traiter de mes champs d’intérêt comme la police et la politique. Pour moi, c’était par exemple important que les gens comprennent ce qui s’était vraiment passé lors de la tragédie ferroviaire de Mégantic en traitant du sujet dans une émission d’une heure (ma première à J.E) pour que cela ne se reproduise pas.»

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QUELQUES REPORTAGES MARQUANTS

Septembre 2013 : La tragédie de Mégantic

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

«J’étais vraiment content, car on a réussi à retrouver le dernier employé de la compagnie qui s’était rendu sur les lieux du train, et ce n’était pas le conducteur. C’est un élément qui est sorti du cadre, au procès où la compagnie a été innocentée. Ce fut un travail de recherche et d’enquête approfondi», dit Paul Larocque.

Septembre 2016 : Pourvoirie

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

L’histoire d’un homme qui avait mis la main sur une pourvoirie sans jamais payer. «Un homme tordu qui s’en était pris à l’équipe de J.E», se souvient-il. 

Février 2017 : Enquête interne (Paul Larocque et Félix Séguin)

Un reportage sur la gravité de la situation aux enquêtes internes du SPVM qui avaient d’importants problèmes de gouvernance. «Ce reportage avait eu un impact considérable sur le service de police de la Ville de Montréal qui était gangrené de l’intérieur. Nous sommes les premiers à avoir exposé la gravité de la situation et cela avait mené à la nomination de Martin Prud’homme afin de redresser le SPVM. C’est une émission qui m’a marquée.» 


Paul Larocque anime les émissions La joute et Le bilan sur les ondes de LCN. Il prendra le relais de Pierre Bruneau, qui a récemment animé le dernier Face-à-face de sa carrière pendant la campagne électorale québécoise. 

Marie-Christine Bergeron

DE 2018 À 2020

Photo Pierre-Paul Poulin
Photo Pierre-Paul Poulin

Des enquêtes plus fouillées

Des années incroyablement enrichissantes et trépidantes et une chance inouïe : voilà comment Marie-Christine Bergeron qualifie ses années d’animation et d’enquêtes à l’émission J.E.

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«Ce genre d’émission est nécessaire et important, lance celle qui adorait confronter les charlatans. C’est une fierté d’avoir ce genre d’émission au Québec, la marque de J.E est forte. Il est important de confronter les gens à des réalités moins connues, surtout les gens vulnérables qui se font abuser. L’idée était aussi de dénoncer des gens dans tous les milieux. La magouille, les fraudeurs et les gens qui font des choses illégales.» 

La journaliste qui voyait Gaétan Girouard comme un modèle se dit heureuse que son époque à la barre de J.E ait coïncidé avec la reconnexion de l’émission avec sa mission d’origine. 

«On sentait que J.E revenait à la dénonciation des crimes et à la confrontation de criminels, explique celle qui adorait le contact avec le public. On avait de super cotes d’écoute. Les gens m’en parlent encore. Je me souviens d’un retour de vacances où j’avais 1500 messages sur ma boîte vocale et dans mes courriels. Souvent, la matière première était les histoires des gens.»

Elle confie que chaque enquête sur laquelle elle a travaillé d’arrache-pied pour J.E restera à l’intérieur d’elle et que le mode enquête va toujours l’habiter. «Souvent, les victimes nous disaient merci après l’émission et c’était notre victoire et la plus belle paye qui soit.» 

QUELQUES REPORTAGES MARQUANTS

▶ Novembre 2019 : L’illusionniste

Ce qui semblait être une histoire typique d’homme qui faisait miroiter une carrière de mannequin à des jeunes filles s’est avéré être l’histoire d’un fraudeur israélien bien connu dans son pays. «On a réussi à le faire expulser et j’ai même fait la une en Israël et pris part à des entrevues en hébreu. Quand ton enquête a une portée internationale, tu te dis : mission réussie!»

Septembre 2019 et Février 2020 : Au nom de la foi et Otages de la foi : Enquête sur le groupe sectaire Mission de l’Esprit-Saint

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

L’histoire de jeunes filles forcées de se marier à 14 ans et d’avoir plein d’enfants, des jeunes qui ont perdu leur vie d’enfants. «J’y avais travaillé pendant six mois et cette enquête avait même eu des répercussions politiques», raconte Marie-Christine Gagnon.

Octobre 2020 : Les mains sales

Capture d'écran d'archives
Capture d'écran d'archives

Des gens qui, pendant la pandémie, fabriquaient du Purell illégal. «Nous l’avons fait tester et il n’était composé que de seulement 12 % d’alcool. Ce fut une enquête satisfaisante, car nous avons pu faire cesser cela.»


Marie-Christine Bergeron est cheffe d’antenne du Fil 17 sur les ondes de NOOVO Info. Elle prépare aussi deux documentaires qui seront présentés sur les ondes de TVA et de CRAVE sous peu. 

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