2023 ou l’entrée dans la nouvelle ère: celle de l’intelligence artificielle

Jean-Sébastien Bélanger est enseignant en philosophie
Il y a eu l’invention de l’ordinateur et le déploiement d’internet. Nous sommes passés, avec la récente mise en service d’algorithmes tels que Midjourney et ChatGPT, à l’ère que les historiens appelleront celle de l’intelligence artificielle.
L’une des idées reçues qui circulent encore à notre époque est que les nouvelles technologies bouleverseront d’abord les métiers nécessitant un faible niveau de scolarité. On a cru, en ce sens, que les premiers à être remplacés par des machines seraient les manutentionnaires et les ouvriers d’usine. On a de bonnes raisons de croire, aujourd’hui, que ce sont les professions nécessitant des formations scolaires de haut niveau qui seront chamboulées et transformées à jamais.
Quiconque ayant interagi avec ces nouvelles I.A., devenues le talk-of-the-town, a compris que nous avons affaire à une révolution dont les esprits les plus imaginatifs ne saisissent pas encore l’ensemble des domaines où se fera sentir l’onde de choc. Nous avons affaire à des entités d’une nature différente parce qu’elles font ce que l’on a cru, jusqu’à hier encore, propre à l’être humain.
Nous avons affaire à des êtres qui se font créateurs, qui évaluent, jugent et synthétisent l’information, qui maîtrisent le langage naturel au point de donner l’impression de comprendre, qui peuvent interagir, argumenter de manière intelligente et se faire pédagogue. Conséquemment, ce sont des professions comme celle d’ingénieur, d’avocat, d’artiste, d’auteur et d’enseignants qui sont désormais sur la sellette, face à des entités qui produisent et posent des actes qui peuvent leur faire concurrence.
Voici un bon moment, maintenant, que la puissance computationnelle des ordinateurs n’impressionne plus guère personne. Battre le meilleur joueur d’échecs au monde avait constitué le fait d’armes de microprocesseurs du siècle précédent. Inventer, créer, comprendre et s’exprimer comme le ferait un humain ont constitué, cependant, des capacités que l’on réservait aux êtres issus d’œuvres de science-fiction. Elles sont maintenant le fait d’entités que l’on pourra côtoyer, avec l’arrivée de la nouvelle année, de manière journalière.
Pendant que les philosophes débattront à propos de la sentience ou non de ces nouvelles entités, de leur conscience ou de leur véritable capacité à penser, ces intelligences artificielles s’inséreront irrémédiablement dans une panoplie d’activités qui façonnent le quotidien des gens, les assistants dans la réalisation de tâches de toute nature, interagissant avec eux et investissant des sphères de plus en plus humaines.
Sur le dos de ces I.A., nous chevauchons une bête fougueuse qui galope sur une mince ligne séparant, de part et d’autre, la dystopie de l’utopie.
Qu’y a-t-il après la mort?
Mon fils de 9 ans demandait récemment à ChatGPT ce qu’il y a après la mort. L’I.A. lui a répondu que différentes croyances existaient sur le sujet, que certains croient en l’existence d’une âme qui perdure après la mort alors que d’autres estiment, au contraire, qu’il n’y a rien. C’est une réponse qui a le mérite de contrecarrer le dogmatisme autoritaire des régimes théocratiques. C’est une réponse de philosophe qui propose des hypothèses sans prendre définitivement position. C’est la réponse d’un éducateur digne de ce nom. L’humanité vient peut-être de se doter d’un pédagogue personnel, un que chacun transportera en tout temps dans sa poche, un assistant qui contribuera à aiguiser l’esprit critique et à cultiver une pensée qui procède de manière hypothético-déductive.
Jetons un regard du côté des possibilités de dérives inquiétantes. On connaît tous l’emprise extraordinaire que les écrans ont, désormais, dans la vie de nos concitoyens. L’arrivée des réseaux sociaux, en particulier, a désincarné nos relations et virtualisé nos rapports. Qu’en sera-t-il de la génération I.A. qui pourrait fort bien délaisser les relations virtuelles des réseaux sociaux pour faire place à des «relations» avec des intelligences artificielles? Certains, dans quelques années, seront peut-être nostalgiques de l’époque où l’on interagissait encore avec des vivants virtuels.
Comme ce fut le cas pour la diffusion d’autres technologies qui ont eu les impacts les plus significatifs qui soient pour le développement de l’humanité, il est troublant de constater qu’aucun comité éthique n’a été sollicité avant la mise en service de ces intelligences artificielles. Nous nous sommes engagés dans cette voie qui correspond, apparemment, au progrès. Les questions éthiques, pourtant, fusent de toute part et ont de quoi, par leur diversité et leur profondeur, donner le vertige.
Pour le meilleur ou pour le pire, l’humain devra apprendre à cohabiter avec ces nouvelles entités. Déterminer quand il est souhaitable de sous-traiter sa créativité, sa compréhension et son jugement à des intelligences artificielles n’est pas une mince tâche. Elle en est une, pour autant, qui marquera l’année à venir, ainsi que toutes celles qui suivront.
Jean-Sébastien Bélanger
Enseignant en philosophie
Cégep de Sorel-Tracy