100 jours de Mark Carney: le rouleau compresseur
L’anglo-libéral désintéressé par le nationalisme québécois qui gouverne comme un conservateur


Emmanuelle Latraverse
Comment calculer les 100 premiers jours de Mark Carney? À partir de son élection comme chef du PLC? De son assermentation comme premier ministre, la première ou la deuxième fois?
Le destin l’aura privé du privilège d’un 100 jours facile à calculer. C’est bien parce que ce même destin lui a offert un rendez-vous absolument unique avec l’Histoire.
Car il faut bien le contexte de crise actuel pour qu’un premier ministre libéral se permette ce qu’aucun premier ministre conservateur n’aurait jamais osé.
Mark Carney est-il un caméléon ou un rouleau compresseur? Depuis son élection à la tête du PLC, il est un peu des deux.
Une économie canadienne
Pour le reste du pays, l’idée de faire de l’économie canadienne une seule économie plutôt que 13 va de soi.
Mais voilà, guerre commerciale oblige, le petit protectionnisme de tout un chacun est devenu indéfendable. Qu’il soit plus compliqué d’importer du vin de la Colombie-Britannique que de la Californie est totalement surréel. Ou encore, qu’une hygiéniste dentaire de l’Ontario doive se requalifier pour travailler dans une autre province est loufoque.
N’empêche, il aura fallu la promesse de Mark Carney d’abolir toutes les barrières fédérales au commerce entre les provinces pour que celles-ci fassent de même en mettant de côté leur réflexe protectionniste.
C’est donc sans surprise que tout le monde a embarqué dans son idée des «projets nationaux», ceux qui se verraient approuvés d’emblée, avant même les évaluations environnementales.
En temps normal, cette immense réforme contenue dans le projet de loi C-5 exigerait des mois de réflexion, de consultations. Les ramifications sont sans fin. Tous ont compris qu’une telle révolution sera bien plus difficile à mettre en œuvre qu’espérée.
Et pourtant, le gouvernement Carney est en voie de le faire adopter en quelques jours, à peine étudié. Et grâce à qui? Grâce à l’appui du Parti conservateur qui a mis de côté sa rancune de s’être fait voler son programme.
Lune de miel
On comprend Mark Carney de vouloir avancer à la vitesse grand V, car rares sont les fenêtres en politique où un premier ministre peut compter sur un tel moment de grâce. Selon la firme de sondage Nanos, le PLC a maintenant 10 points d’avance dans les intentions de vote sur les conservateurs, et près de 3 Canadiens sur 4 sont en faveur (pleinement ou en partie) de son projet de corridor énergétique. Même les Albertains se disent plus impressionnés par lui que par leur chef naturel Pierre Poilievre, selon CBC.
Et pourtant, la liste des doutes et des interrogations est plus que longue. Comment va-t-il payer pour la hausse massive de dépenses militaires? Comment va-t-il financer ces grands projets nationaux? Et l’environnement? La lutte contre les changements climatiques?
Pour l’instant, il fonce à visière levée. Il impose des politiques conservatrices avec une touche de progressisme propre aux libéraux. Comme s’il était possible d’incarner le meilleur des deux mondes.